Il est 19 heures. Rèl pete. Quelqu’un est mort. Les cris fusent. Transpercent la jeune nuit. Stridents. Impressionnants. Tout un quartier qui hurle comme une bête blessée, terrassée dans sa chair. Cela dure un moment. Le gérant se renseigne: quelqu’un est bien mort.

C’est G.

G. est une marchande de poisson, très avenante, toujours souriante, et belle de cette beauté que seule confère la bonté. Elle a perdu son père, il y a deux semaines environ. Hier nuit, c’est sa soeur qui serait partie. La soeur était diabétique depuis quelques années, mais elle gérait. Elle prenait ses médicaments. C’est étrange. Il doit y avoir quelque chose là-dessous.

En Haïti, personne, ou presque, ne meurt de mort naturelle. Les hommes sont méchants. Il doit y avoir là quelque jalousie. Une matelote, peut-être? Son homme est un peu volage. Il va à la pêche autant des poissons que des femmes. Qui sait? — il a dû se trouver une nouvelle femme, une de ces dames qui ne mangent rien de froid. On en saura plus demain matin.

Le matin est calme. Trop calme. On n’entend rien. Certes. C’est triste tout de même. Pauvre G. Perdre ainsi son père et sa soeur en moins de deux semaines. L’on dit que Dieu ne nous donne jamais plus que nous ne pouvons supporter mais tout de même: on dirait que parfois il s’acharne.

G. arrive avec du poisson. Elle semble abattue, mais elle doit avoir besoin de sa routine pour faire face. Quel courage, tout de même. Nous lui présentons nos condoléances et nous nous enquerrons des préparatifs pour sa soeur, et de la manière dont nous pouvons aider.

Ah non! Sa soeur n’est pas morte, en fait. Le gangan a prescrit les cris hier soir. Pour tromper la mort.

En cette fin d’année, peut-être que voilà là une solution à tenter: crier pour empêcher la mort d’Haïti. Nous avons déjà tout essayé. Cela ne peut nuire.

Laisser un commentaire

Trending