Récemment, le capitalisme triomphant nous a offert un nouveau modèle à émuler : la plus « jeune milliardaire partie de rien », ancienne ballerine et actuelle parieuse extraordinaire : Luana Lopes Lara, co-fondatrice de la plateforme de pariage en ligne — pardon, de marché prédictif — Kalshi.

Les marchés prédictifs sont ce qui se fait de mieux en termes de capitalisation, ce « capital fictif » dont la valeur repose sur des revenus anticipés et non la réalité. Je vous vois déjà vous référer à Karl Marx et au Volume III de Das Kapital – le chapitre 29 précisément – et vous lamenter de cette déconnexion totale avec la réalité et de ce fétichisme ultime du capital. Mais le bonhomme écrivait en 1894 : que pouvait-il savoir d’un monde où existe l’intelligence artificielle ? En tout cas, ce n’est pas lui qui nous permettrait, comme le rêve ouvertement Kalshi, de « monétiser la moindre différence d’opinion ».

Cette financiarisation de tous les instants de notre existence participe d’un succès biopolitique qui ne peut que servir nos futurs suzerains dans cette nouvelle féodalité corporate où notre survie dépendra de notre capacité à anticiper nos malheurs. En janvier de cette année, Kalshi, alors évaluée à 1 milliard de dollars, a été rejointe par le fils du président américain, Donald Trump Jr. Six mois plus tard, sa valeur doublait. Neuf mois plus tard, elle triplait. Aujourd’hui, nous sommes à 11 milliards et Kalshi prédisant une victoire de JD Vance, actuel vice-président de Donald Trump Sr., à la prochaine présidentielle américaine.

Mais même si elle semble en rêver, l’Américaine Kalshi n’est pas Polymarket qui, lui, fonctionne via crypto et a toujours permis de parier sur absolument tout, de combien d’enfants américains mourront de rougeole dans la prochaine semaine aux détails les plus sanglants des conflits en cours ou à venir. Hier, la Prix Nobel de la Paix, Maria Corina Machado, était à Oslo pour recevoir son prix et présenter son plaidoyer pour une intervention militaire dans son pays, un jour après la saisie par les États-Unis d’un tanker vénézuélien. Pour éviter de malencontreuses erreurs d’aiguillage, il est fréquent que les interventions de ce genre aient lieu pendant l’absence du leader ayant la faveur des intervenants : serait-ce le moment de parier sur l’entrée en guerre de l’Amérique de Trump contre le Venezuela ?

Dans son discours, Mme Machado a dépeint une Vénézuela envahie par des agents russes et iraniens (dans le cadre d’une coopération sécuritaire formelle), le Hezbollah (un diplomate, un homme d’affaires et deux agences de voyage sanctionnés par le département du trésor américain en 2008) et le Hamas (un vice-président vénézuélien se déclarant, en 2006, ouvert à recevoir une délégation). À cette invasion extra-continentale s’ajouterait celle de guérillas et de cartels colombiens contrôlant le territoire vénézuélien à 60% (présence documentée mais dans les zones frontalières et minières et jamais à cette échelle). C’est donc dans ce hub de  tous les trafics du continent (5% de la drogue colombienne d’après l’ONUDC, loin derrière la Colombie, le Pérou ou l’Équateur) où le gouvernement est financé par la drogue, la prostitution et la corruption (le gouvernement, même corrompu et coupable de crimes contre sa population, est financé par les taxes et la vente de pétrole) que la Prix Nobel de la Paix espère voir Donald Trump – et, accessoirement, la communauté internationale – intervenir pour établir une « démocratie du pétrole » propulsée par la technologie.

Sera-ce suffisant pour passer outre les réticences du Congrès, le scandale des assassinats extrajudiciaires du ministre de Guerre américain ou encore la tiédeur de l’opinion américaine face à cette nouvelle guerre qui s’annonce ? Sans doute pas. Mais vous pouvez toujours tenter votre chance sur les marchés prédictifs. Dans un sens ou dans un autre.

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