La récente saga du conseiller-président privé de visa américain est un rappel brutal d’une réalité de plus en plus glauque : la disparition des élites et, avec elle, celle des valeurs. Plus de nuance, plus de tenue. De bîmes en bîmes, nous avons fini par atteindre l’abîme final : celui d’une vulgarité abjecte où un chargé d’affaires américain se livre, via messagerie instantanée, à un chantage au visa, et où un ambassadeur canadien ramène les sanctions visant des citoyens haïtiens accusés de violations des droits humains et de financement de gangs à un simple instrument de coercition politique, là où son prédécesseur parlait encore d’en finir avec l’impunité.

C’est cette butorderie, cette maladresse flagrante, qui arrête. Cette brutalisation toute trumpienne des relations diplomatiques poussant à penser que les personnalités sanctionnées ont dû refuser quelque chose. Dans ce cas précis, s’engager à ne pas renverser un chef de gouvernement ayant la faveur de l’ambassade américaine. Nous nous souvenons encore de ce pauvre Reynold Deeb penaud, confus et généralement interloqué de voir Ottawa le sanctionner alors même qu’il avait permis l’usage de son terrain pour l’évacuation de leurs ressortissants. La déception qu’il a dû ressentir quand un geste ponctuel de coopération s’est révélé insuffisant face à un rapport onusien documentant ses relations avec les gangs.

Ce n’est pas forcément que je mette en doute la réalité de ce qui est reproché à ces messieurs. Ce que je questionne, c’est la pertinence de sanctions qui ne semblent tomber qu’en représailles à un refus d’obtempérer aux exigences des sanctionneurs. Que se passe-t-il lorsque le maître-chanteur obtient ce qu’il veut ? Un Fritz Jean proche des groupes armés, mais qui accepterait de ne plus chercher à remplacer Alix Didier Fils-Aimé à la Primature, serait-il soudain autorisé à poursuivre les mêmes pratiques supposées — et à les financer avec l’argent du contribuable haïtien — tandis que le Canada et les États-Unis dépensent l’argent de leurs contribuables pour soutenir une force chargée précisément de réprimer ces mêmes groupes ?

Certes, l’usage de sanctions pour forcer un changement de comportement politique ou discursif n’a rien de nouveau — même si la désinvolture de ces messages l’est —mais il devient difficile de prendre au sérieux des accusations de financement de gangs quand obéir aux desiderata américains suffit à les faire oublier.

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