Une lectrice, qui est à son quatrième déplacement de territoires perdus, m’écrit de but en blanc : « les gens sont tellement mesquins en Haïti ». Comme je lui demandais de m’expliquer, elle me raconte son triste périple depuis trois ans: l’abandon de la maison familiale — dont le territoire était en passe de tomber entre les mains des gangs — puis de la capitale — la maison louée après leur premier déménagement s’étant vite retrouvée elle aussi en plein territoire perdu — puis de la maison de province où sa famille s’était réfugiée — la province coûte chère pour des revenus inexistants. De retour dans la capitale, elle s’est installée dans un quartier illustre, d’excellente réputation, et connu pour être paisible mais qui désormais vit sous le bruit des balles. Aussi, déplacée professionnelle, ses malles sont-elles déjà faites, en attendant le nouveau départ qu’elle pressent imminent.
La première étape, m’explique-t-elle, une fois les malles faites, est d’établir un plan de fuite. Et ce plan inclut, comme le Bernard-l’Hermite migrant de coquille en coquille, la recherche d’un nouveau logement. Elle a eu de la chance : elle en a trouvé un dans un quartier où un ancien président a été assassiné. Le prix était élevé, ils seraient à l’étroit dans ce T2 de fortune, mais la probabilité que des mercenaires colombiens débarquent par une nuit de juin pour les cribler de balles était suffisamment faible pour que le déménagement fasse sens. Après la visite, la propriétaire, qui vit au Canada, a doublé le prix.
Notre lectrice ne sait si c’est leur désespoir évident, l’explosion de la demande ou la petitesse quotidienne qui a motivé ce changement. « Il faut écrire un billet dessus », insiste-t-elle. Elle décrit l’appartement au luxe inouï : deux petites chambres, une salle de bain, une petite pièce à vivre incluant la cuisine, où l’on ne pouvait mettre que quelques chaises. Elle est dégoûtée, épuisée, terrassée. Terrassée par la peur de céder — de finir par accepter de payer le double de ce qu’elle avait déjà eu tant de mal à se convaincre de payer. Épuisée par la mesquinerie ambiante, ce réflexe quasi instinctif de profiter des plus vulnérables. Dégoûtée parce qu’elle sait qu’elle va probablement devoir se déplacer à nouveau, et qu’un.e autre propriétaire doublera, triplera, quadruplera ses prix, jusqu’à ce que sa famille ne puisse plus payer …
Nous sommes aujourd’hui plus d’un million à vivre la même errance en Haïti. Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), le nombre de déplacés internes a triplé en un an, passant de 315 000 en décembre 2023 à 1 041 000 en décembre 2024. Parmi eux, plus de la moitié sont des enfants, soit près d’un enfant sur huit à l’échelle nationale. Ces familles, contraintes de fuir la violence des gangs et l’effondrement de l’État, se retrouvent sans abri, sans eau potable, sans école pour leurs enfants, sans soins. Les femmes et les filles, qui représentent une part significative des déplacés, sont particulièrement exposées aux violences sexuelles, aux rackets, aux promesses sans lendemain des autorités. Les déplacés ne fuient pas seulement les balles ; ils fuient aussi les propriétaires véreux, les commerçants avides, les voisins devenus prédateurs, et un pays qui, trop souvent, cherche encore à tirer profit de leur précarité.
« Les gens veulent s’enrichir sur nos malheurs » écrit-elle. Elle décide de résister. De se remettre à chercher. Et, en attendant, pour parer au plus pressé, elle cherche une entreprise ou un local de stockage pour entreposer ses affaires, au cas où il faille s’enfuir à la dernière minute. Si vous en connaissez un, envoyez un mail avec les détails à laloidemabouche@gmail.com. Je m’assurerai de les lui faire parvenir.





Laisser un commentaire