On ne tue pas la vache qui nous nourrit, pas plus qu’on n’en parle mal quand on est assis sur son dos. C’est ce que je m’efforce de rappeler, depuis des mois, à tous ceux — diplomates, journalistes, experts, collègues bien intentionnés — qui viennent chercher mes lumineuses lumières pour « comprendre Haïti », le temps d’une rencontre Zoom, Meet ou WhatsApp dont ils oublieront tout sitôt raccroché. Ils me remercieront pour la qualité des échanges, ils me recommanderont avec enthousiasme à d’autres, et le manège reprendra dans ce cirque absurde auquel je continue pourtant de participer dans l’espoir sans doute vain que nos meilleurs, étrangers comme locaux, finiront par entendre raison et pousser pour l’organisation des élections qui, il faut bien le reconnaître, n’est pas du tout dans l’intérêt du Conseil présidentiel de transition.
C’est que, voyez-vous, le CPT a comme un gros conflit d’intérêt. Nommé par des regroupements formés dans le but expresse de donner à la communauté internationale un interlocuteur à la tête dun État en déliquescence dont le premier ministre posthume d’un président assassiné s’était retrouvé, alors qu’il était en voyage d’État, interdit de retour par les gangs, le Conseil réunit quelques personnalités connues, mais surtout beaucoup d’illustres inconnus, parachutés là via un accord politique jamais publié, déjà violé avant même qu’ils ne soient installés. Or, voilà qu’on leur demande d’organiser des élections générales pour un retour à l’ordre constitutionnel, le 7 février 2026. La même constitution que l’on se propose de changer? modifier? reformer? par référendum.
Parlons-en, justement, de ce référendum constitutionnel. Une lubie importée, ressassée de Jovenel Moïse à ces drôles de successeurs qui n’en ont manifestement cure mais qui s’y prêtent tout de même parce que, pas plus qu’on ne tue la vache qui nous nourrit, on ne mord le doigt qui nous donne à manger.
À mes rencontres d’une heure — aussi fugaces que celles d’un soir — je m’efforce d’expliquer l’évidence : nous pouvons parfaitement attendre. Organiser les élections d’abord, et laisser à la future Assemblée nationale, si elle en a le mandat, le soin de se constituer en Assemblée constituante. Ce à quoi l’on m’oppose le spectre d’élections frauduleuses comme si un référendum pourtant organisé dans les mêmes conditions allait magiquement mieux se passer. Ou, pire encore, comme si des élections — même imparfaites — étaient plus dangereuses que de continuer à confier le pays à un pouvoir installé et maintenu par la grâce des gangs.
Cette allergie aux élections n’est pas fortuite. Elle s’explique par la nécessité pour le CPT de faire durer la transition, pour continuer à maintenir ses avantages. C’est une question de survie. Frais d’intelligence et autres frais injustifiés obligent, cette transition est créatrice de nouveaux millionnaires qui n’auront pas à dépendre d’une carte de crédit frauduleusement obtenue de la banque d’État pour faire leur épicerie ou s’offrir un costume. À cela, il faut ajouter les per diem, les voyages, les gardes du corps, les avantages familiaux, les postes attribués aux amis.
Admettons qu’il y ait des élections : ils disparaissent. Le robinet se ferme. Il y a là, comment dire… comme un gros conflit d’intérêt.
Ce ne peut être facile, on l’imagine, d’abandonner l’argent des contribuables haïtiens. Des contribuables qui, eux, continuent de payer un État qui les a pourtant livrés à eux-mêmes, livrés aux gangs qui, accessoirement, les taxent à leur tour : péages routiers, impôts locatifs, impôts sur le revenu, taxe de guerre… On ne saurait donc attendre du CPT qu’il s’attèle sérieusement à organiser des élections qui mettraient fin à un système dont sa survie dépend. Pas de bon gré, en tout cas. Et certainement pas de sa propre initiative. Avec tous les avantages qu’ils ont réussi à engranger ? Nous ririons d’eux.





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