Le drôle de voyage de Garry Conille continue de faire parler de lui et pour cause. Un Premier ministre qui part en tournée à l’étranger pendant neuf jours sans daigner en discuter avec la présidence, c’est peu régulier. Que le Conseil présidentiel de transition (CPT) n’en ait été informé que via WhatsApp quelques heures avant le départ de la délégation semble être à la limite entre le non-respect des procédures et le mépris ouvert. Ce matin, le Nouvelliste apporte des « précisions »  sur ce voyage singulier où des « sources à la Primature » s’essaient à faire comprendre au reste du pays et au CPT que, en fait, il imagine des choses, il se fait des idées, ce n’est pas arrivé.

Il ne faut pas confondre la coopération externe qui est du ressort du gouvernement dans tous les pays du monde et la diplomatie qui est une attribution présidentielle. Le Premier ministre n’a pas été signer un traité avec les États-Unis…

Supposons que le retard de la lettre soit dû à des problèmes de livraison de courrier entre les services. Admettons également que le Premier ministre avait planifié son voyage dans le cadre de la coopération internationale relevant du gouvernement. Enfin, considérons que Garry Conille – qui en est à son deuxième mandat, l’un de jure et l’autre de facto – n’était pas conscient que la Constitution prévoit un partage du pouvoir exécutif (article 133) et la nécessité de collaboration dans les politiques gouvernementales (article 156). La correspondance émanant de la Primature mentionne une inspection d’ambassade et une visite au Conseil de Sécurité de l’ONU ; en quoi un tel agenda pourrait-il être considéré comme relevant de la coopération externe ?

Arrêtons-nous un instant sur le concept même. En Afrique francophone, et accessoirement en Haïti, la « coopération externe » désigne l’aide au développement économique et social fournie par les anciennes métropoles à leurs anciennes colonies, via des accords bilatéraux ou des organisations internationales, avec le succès que l’on sait. Au Nord, du côté des pays dits développés, on lui préfère la « coopération internationale », plus large, plus inclusive, et plus euphémique. Ce terme évoque des objectifs communs, un travail collaboratif et des relations partenariales, allant au-delà de l’assistance financière et technique que suggère le premier. Ainsi, le « foreign aid » américain est généralement accompagné de « international cooperation »; la France parle de « coopération au développement »; l’Allemagne de Entwicklungszusammenarbeit (coopération pour le développement); le Royaume-Uni d’ »international development »; et le Japon de « 国際協力 » (kokusai kyōryoku), soit « coopération internationale ». Au Sud où une telle pudeur n’est guère nécessaire, la « coopération externe » dit les termes.

Souvent rattachée au ministre des Affaires Étrangères – ou au Ministère de la Planification chez nous – la coopération externe voit la mise en œuvre de projets de développement et d’autres programmes d’aide via des agences de développement, des ONG, des organisations internationales et d’autres organismes étrangers qui opèrent souvent directement au sein des ambassades accréditées en Haïti. Dans un État qui continue de faillir à sa responsabilité de protéger, ces programmes varient de la lutte contre la pauvreté à la lutte contre l’impunité, entre deux initiatives de développement et trois plans de relève post-catastrophe. Rien donc qui concerne les inspections d’ambassade ou la participation à des rencontres du Conseil de Sécurité pour lesquelles nous avons, c’est connu, un corps diplomatique numériquement important.

Les « sources à la Primature » ne sont pourtant pas les seules à blâmer dans cette histoire. Ils jouent le rôle de spin doctors, dont l’objectif est de manipuler l’information. Les journalistes qui se contentent de reprendre ces dires, sans les contextualiser, sans même relever leur incohérence, sont encore plus coupables. C’est un lieu commun mais il semble nécessaire de le répéter : « si quelqu’un dit qu’il pleut, et qu’une autre personne dit qu’il fait sec, ce n’est pas votre travail de les citer tous les deux. Votre travail est de regarder par la fenêtre et de découvrir ce qui est vrai. » Ce travail de vérification est ce qui distingue le journaliste du responsable des relations publiques. Dans la rédaction d’un article, chacun doit jouer son rôle : les spin doctors distillent la manipulation, tandis que le journaliste, lui, informe.

Une réponse à « La Primature s’essaie au gaslighting »

  1. […] Port-au-Prince, ville fantôme, mais c’est parce que, en dépit de ce que le gouvernement Conille s’évertue à nous faire comprendre ces dernières semaines, vous persistez à croire vos yeux […]

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