Plus tôt, à mon insu, je me suis promenée du mauvais côté du quartier. Je ne savais pas que c’était le cas. Sans doute parce que ce ne l’était pas. Pas vraiment. La zone abrite une université, des sièges sociaux de grandes entreprises et, à part quelques endroits où l’odeur d’urine est un peu trop présente, tout est propre et net. Pourtant, j’ai eu peur.

Il y avait quelques sans-abris, des alcooliques et des toxicomanes ; certains sont venus me parler, et j’ai souri, le cœur serré, paniquée comme si ma vie était en danger. Ce n’était pas le cas. Ça ne l’a jamais été. Mais j’ai eu peur. Viscéralement. J’ai eu peur et j’en ai honte.

Je me suis dépêchée de rentrer et, naturellement, j’ai consulté Reddit. Apparemment, comme on pouvait s’y attendre de la part des redditeurs, la ville serait en train de sombrer dans le déclin, et la mairie devrait agir rapidement. Il faut absolument éviter la zone entre les stations de métro X et Y. J’ai tout bien noté. Je vais rester loin, bien loin de ces endroits. Je n’irai même plus au karaoké. Ce soir, je reste chez moi.

Puis, je me suis rappelée. Je suis dans l’une des villes les plus sûres de la planète. Où les crimes majeurs sont le vol à la tire et le vandalisme. Je ne risque rien. Pourtant, j’ai eu peur. Ce qui me dérange profondément. Parce que la détresse humaine ne devrait pas m’effrayer à ce point. La panique n’est pas une réaction saine à quelques malheureux en quête de connextion humaine.

Je dois travailler sur moi-même – et je vais le faire – mais surtout, il s’agira pour moi de comprendre comment j’en suis arrivée à un point où face à la détresse d’autres, ma réaction première est une panique extrême. Au point que, même en tendant un billet à quelqu’un qui m’avait demandé mon aide, ma principale préoccupation était de partir le plus loin possible, le plus vite possible.

J’ai à l’esprit des hypothèses de culture capitaliste dominante – Hollywood mais pas seulement – criminalisant les victimes de problèmes qu’elle a elle-même créés. Je réfléchis à ces traumatismes en série que vivent tous et toutes les Haïtiennes et Haïtiens du pays et le désastre causé à notre psyché. Je pense à mon introversion sociale qui me fait préférer la solitude.

Un temps, je me suis dite que c’était peut-être parce qu’ils étaient des hommes et que je marchais seule. Mais j’étais parfaitement calme quand ce jeune homme m’avait complimentée sur ma robe et demandée si j’étais en train de tourner un film parce que j’avais l’air d’une actrice. J’ai trouvé la réplique terrible mais je l’ai remercié avec un grand sourire et continué mon chemin. Pas de panique non plus quand j’ai croisé des hommes seuls, des hommes en couples, des hommes en groupe … jusqu’à ce que je tombe sur des « itinérants ».

Et j’ai besoin de savoir pourquoi.

Le plus compliqué dans tout ça est que, à aucun moment, je n’ai eu peur d’être victime d’un crime. Ma peur était plus diffuse. Sans objet. Sans doute liée au choc de la richesse stérile de la ville et le profond désarroi auquel j’étais confrontée. Un désarroi qui me gagnait à mon tour? Peut-être ?

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