Petite, l’histoire présidentielle d’Haïti se résumait à une chanson mnémotechnique. Dé-Chris-Pé-Boy-Hé-Guer-Pierre. Une liste des chefs d’État qui se sont succédés à la tête du pays, dans des circonstances les unes plus rocambolesques que les autres. Ri-Sou-Ge-Sal-Ni-Do-Bois-Sa-Lé. Une liste qui sautait les conseils, comités et autres gouvernments provisoires aux noms les uns plus ubuesques que les autres. Hy-Sam-Al-Ci-Le-Au-Mi. Une liste qui s’arrêtait pour signaler un événement inhabituel, indicateur d’une crise profonde : quatre présidents en deux ans.

C’était un phénomène passionant pour les élèves fascinés que nous étions, d’autant que deux d’entre eux s’appelaient Oreste: Michel Oreste (4 mai 1913-27 janvier 1914) suivi d’Oreste Zamor (8 février 1914-29 octobre 1914), avec, entre eux, mais pas dans la chanson, un Président du Comité de salut public, du nom d’Edmond Polynice (27 janvier 1914-8 février 1914; 29 octobre 1914 6 novembre 1914). Leur succédèrent Joseph Davilmar Théodore et Vilbrun Guillaume Sam dont la présidence à vie de 4 mois et 18 jours se terminera par son assassinat le 28 juillet 1915 et par le débarquement, le lendemain, à Port-au-Prince, des marines américains déjà ancrés dans la rade.

Un Comité révolutionnaire auquel appartenait un certain Edmond Polynice assura l’intérim jusqu’au 11 août 1915. L’attaque du Palais le 26 juillet 1915 avait provoqué, en réaction, le massacre d’une centaine de prisonniers politiques par le redouté général Charles Oscar Étienne – le fameux Chaloska du Carnaval – au cours duquel Polynice avait perdu ses 3 fils. Des fils qu’il vengera le jour même en tuant leur bourreau au Consultat dominicain où il s’était réfugié. Le corps de ce dernier fut ensuite traîné dans les rues de la capitale dans la foulée du quatrième déferlement en deux ans des paysans du Nord-Est – bons Da, cacos et autres zandolit – sur Port-au-Prince. Ce fut le début de ce que l’on nous apprit être la période la plus humiliante de notre histoire nationale : l’occupation américaine.

Depuis quelques jours, les États-Unis d’Amérique s’attèlent à la construction de bases militaires pour accueillir une force multinationale de soutien, presque trois ans après notre dernier assassinat présidentiel. La terreur des gangs sur la population a remplacé celle des paysans du Nord-Est sur les gouvernants. Or, voilà que la grande nouvelle depuis hier est celle d’une présidence tournante du Conseil présidentiel de transition où 4 conseillers-présidents vont se succéder à la présidence – nous dit-on – de séances de travail.

Présider des conseils (de classe, d’école, d’association, de fondation) est un rôle que j’ai moi-même été appelée à jouer plusieurs fois depuis ma tendre enfance, et jamais je n’aurais cru que cela puisse être si important au point de maintenir en suspens la gouvernance d’un pays tout entier. De mémoire, c’était plutôt une tâche que l’on évitait et qui me revenait par défaut parce que j’étais la nerd de service. Voir ces messieurs s’efforcer tant pour une tâche aussi ingrate semble indiquer qu’il y a quelque chose qu’on ne nous dit pas.

D’autant que le Conseil présidentiel de transition n’a toujours pas de mandat officiel. D’autant que les politiques décriés hier sont les mêmes aujourd’hui. D’autant qu’Haïti ne s’est jamais relevée de l’humiliation subie la dernière fois que nous avons eu quatre présidents en deux ans.

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