Il est peut-être grand temps de sanctionner certains médias étrangers pour leur couverture de la crise haïtienne

Des médias étrangers sont accusés de verser des pots-de-vin à des gangs en échange d’entretiens filmés. C’est ce que dénonce ce matin le journaliste canadien Étienne Côté-Paluck, responsable du magazine d’information Dèyè Mòn Enfo, qui semble considérer cela comme une question d’éthique journalistique. L’information est confirmée par Widlore Mérancourt, rédacteur en chef du média en ligne AyiboPost, qui associe cette pratique à la quête de sensationnalisme et à la recherche d’audimat.

C’est une lecture qui se défend. La recherche de sensationnalisme semble sous-tendre de nombreux reportages étrangers sur la situation en Haïti. Au-delà du cliché du « pays le plus pauvre de l’Amérique », une fascination morbide semble exister pour la descente continuelle dans le chaos caractérisant la terre de Dessalines. Le choix des sujets, des images, voire des intervenants témoignent d’un désir d’aborder Haïti sous certains angles précis, renforçant ainsi une image simplifiée et stéréotypée d’un pays fondamentalement tragique, afin de satisfaire le voyeurisme d’un public habitué à une perception réductrice de la crise haïtienne. Cette normalisation du « problème haïtien » contribue à une « fatigue » et à une essentialisation de la crise comme étant naturelle, attendue, expliquant peut-être la réticence à aider un peuple dont c’est le paramètre par défaut.

Il est de notoriété publique que je ne parle pas aux journalistes, mais cela ne les a jamais empêché de me solliciter et, même, pour les meilleurs d’entre eux, me soutirer quelques contributions anonymes. Hier, par exemple, j’ai reçu plusieurs demandes d’interviews de journalistes étrangers, dont deux travaillant pour le même média. En règle générale, les demandes étaient assez raisonnables, bien que la fascination morbide ne soit jamais loin. Mal du public oblige, j’ai refusé toutes les demandes et cette fois-ci pour une raison solide – je ne suis pas actuellement en Haïti et ne me sens pas autorisée à intervenir. Cependant, une demande en particulier m’a interpellée. La personne en question voulait que je parle de ma crainte éventuelle d’être touchée par une balle. J’ai été tentée de lui donner une réponse cinglante, mais en bonne fille de chez les sœurs, je me suis contentée de lui souhaiter bonne chance pour son reportage.

Donc oui, le sensationnalisme est présent, mais le fait de payer des gangs va au-delà des questions d’éthique journalistique. C’est criminel. C’est l’une des principales raisons avancées par le Canada et les États-Unis pour sanctionner une cinquantaine de membres de l’élite haïtienne. Dans tous les États, il existe des lois punissant l’implication dans des activités criminelles et de son soutien indirect à la violence et à l’instabilité. Des traités internationaux existent contre le financement du terrorisme et du crime organisé. Que des médias étrangers paient des gangs pour obtenir des entretiens est grave et mérite une attention sérieuse. Les voies légales doivent être explorées.

Les connivences entre les médias en ligne et les groupes armés en Haïti doivent être dénoncées. Les coupables devraient également être poursuivis, mais nous sommes dans un État défaillant, avec une justice moribonde et des prisons dont on s’évade par milliers. Dans sa publication sur X, Mérancourt a ajouté un lien vers un reportage d’AyiboPost sur le paiement des funérailles d’un journaliste par un chef de gang. Dans la stratégie de conquête des gangs, il y a la conquête des esprits par la peur, et un certain terrorisme médiatique l’accompagne. Mais voilà plus de quatre ans que je tire la sonnette d’alarme, sans succès.

À tout le moins, avec le même succès que mes efforts pour signaler que la situation de Martissant s’étendrait au reste du pays si rien n’était fait, mais personne n’écoute une Cassandre, c’est la beauté de sa tragédie. Par contre, il est un endroit où ce blog a eu quelques succès, le boycott et les mails aux compagnies étrangères pour dénoncer les exactions de leurs employés. Je propose donc que nous nous y mettions.

Malheureusement, je n’ai pas encore la liste des médias dont les journalistes sont suspectés de payer des gangs, et donc je mettrai ce billet à jour au fur et à mesure que je les aurai, ainsi qu’un lien pour que vous puissiez leur envoyer un mail de dénonciation automatiquement. En attendant, voici un modèle à utiliser si vous en avez identifié un.

Modèle de mail de dénonciation

Objet : Dénonciation de paiements présumés aux groupes armés en Haïti pour des entretiens

À QUI DE DROIT,

Je me permets de vous alerter sur des informations préoccupantes faisant état de paiements présumés à des groupes armés en échange d’entretiens par votre média. Cette pratique, si confirmée, soulève des questions éthiques majeures et pourrait violer des traités internationaux contre le financement du terrorisme et du crime organisé.

Les allégations spécifiques concernent des entretiens tenus à la date suivante :

[Précisez les détails et la date ici]

De tels agissements ont eu des répercussions sérieuses sur la réputation d’autres médias, compromettant leur crédibilité et la confiance du public. Afin de préserver l’intégrité du journalisme et de restaurer toute atteinte à la crédibilité de votre média, je vous encourage vivement à mener une enquête interne transparente, dont les résultats devraient être rendus publics.

La crédibilité de votre média étant en jeu, une action rapide et transparente est cruciale pour rétablir la confiance du public.

Cordialement,

[Votre Nom]

Les gangs perdent en puissance lorsqu’ils sont privés des munitions que représentent les vidéos de propagande partagées sur WhatsApp ou les chaînes de nouvelles internationales. Nous ne pouvons pas, enfermés dans nos maisons, empêcher l’arrivée de munitions, cartouches et autres, par la frontière dominicaine ou directement des États-Unis, mais nous pouvons agir pour l’infosphère. Et si tout cela se termine par quelques arrestations pour aggravement de la situation d’un peuple en danger, ce ne serait pas de refus.

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