Les ravisseurs présumés de Saahmie ont été retrouvés. Leurs photos circulent sur les réseaux sociaux depuis hier soir. Les internautes sont en liesse. Ils respirent. Ces criminels vont payer. Il faut absolument tracer un exemple. C’est à qui sera le premier à féliciter la police pour cet excellent boulot. Celle-ci nous a contacté directement sur le compte Twitter (@saahmultitude) pour nous annoncer la bonne nouvelle. Nous l’avons remerciée à profusion. Mèsi. Mèsi anpil.
Désormais, nous nous préparons pour la suite: nous assurer que les assassins soient poursuivis, jugés et condamnés avec toute la rigueur de la loi. La #saahmultitude doit se préparer à suivre et accompagner le procès à partir d’aujourd’hui et c’est ce qu’elle fera. Nous continuons d’être aussi déterminée à ce que la mort de Saahmie rompe avec ce qui paraît parfois une tradition de l’impunité en Haïti. Nous ne cèderons pas. Nous ne plierons pas. Nous ne fléchirons pas.
L’histoire avouée à la police est d’une banalité enrageante. Un mécanicien décide de kidnapper la fille de ses clients avec l’aide d’un ancien policier et deux hommes de main. Les quatre compères réclament et négocient une rançon qu’ils obtiennent mais la victime est éliminée de peur qu’elle ne les identifie.
C’est cette banalité sans doute qui énerve et conduit aux pires excès. Pour la (trop) grande majorité, l’heure est à la vengeance. Il existe en ce moment, sur Facebook et ailleurs, une concurrence des méthodes de torture les plus efficaces pour faire payer ces malfrats. Une sorte d’enchères des actes de vengeance les plus extrêmes et les plus barbares devant conduire à la mort atroce de ceux qui ont osé nous enlever Saahmie.
Je suis heureuse de savoir que mes chances de tenir ma promesse s’améliore. Je me prépare désormais à veiller à ce que ces assassins présumés soient effectivement jugés et, si les charges sont avérées, condamnés. La prochaine mission de la la #saahmultitude est de s’assurer que justice soit faite. Ce qu’elle n’est pas est de chercher à « venger » Saahmie.
Certains usent de ce cas pour regretter le fait que la peine de mort ait été abolie en Haïti et réclament son rétablissement. Guillotine, chaise électrique, peloton d’exécution… peu importe les moyens. L’essentiel ici est de tuer ces criminels. Cela leur apprendra. Mais que peut-on apprendre quand on est mort ?
Naturellement, le débat n’est pas nouveau. C’est même un classique et, avec plus de deux tiers des pays – dont Haïti par l’article 20 de sa Constitution – ayant aboli la peine de mort dans le monde, ce vieux débat semble sur le point de s’épuiser. Un état de choses qui, je l’avoue sans peine, réjouit l’humaniste que je suis. Que la décision d’Haïti de rendre la peine de mort illégale ait été inspirée par les abus de la dictature duvaliérienne me remplit encore plus de joie. Je suis plus qu’ heureuse d’avoir vu et de vivre ce triomphe de l’humanité sur la barbarie, de la civilisation sur le meurtre. Et vous voulez associer le nom de Saahmie, si gentille et si humaine à une campagne si abjecte et inhumaine ? Mais vous n’y pensez pas !
La vengeance n’est pas la justice. L’une est émotive, l’autre rationnelle. La justice ne peut et ne doit pas être personnelle. Elle satisfait à un sentiment plus noble, celui de l’équité. Elle correspond à une logique de maintien de l’ordre social et non de représailles. Elle n’est pas là pour assouvir nos pulsions meurtrières. Et, comme le disait si bien Gandhi, oeil pour oeil finirait par rendre tout le monde aveugle.
Il est aussi d’autres paramètres à considérer. Aucun système judiciaire n’est à l’abri des erreurs judiciaires. Et, puisque nous n’avons pas encore découvert comment ressusciter les innocents qui pourraient être ainsi tués, il nous incombe d’être prudents et de laisser la porte ouverte, le cas échéant.
Tuer ses ravisseurs ne nous ramènera pas Lencie. Devenir criminels à notre tour ne nous ramènera pas son sourire. Ils doivent payer, dites-vous ? Soit. Mais à quelle finalité planifierions-nous de les tuer de sang-froid ? La peine de mort ne réduit pas le taux de criminalité. Les études le montent clairement. L’argument de l’exemplarité et le caractère dissuasif de cette peine ne tient pas devant l’évidence. Alors, outre la vengeance émotive et aveugle, que reste-t-il ?
Une sentence doit être juste et enseigner quelque chose. La peine de mort, qui ajoute à l’inhumanité des moyens une véritable torture psychologique, est piètre enseignante. Elle enseignerait ici qu’il ne faut pas tuer … en tuant. C’est le comble de l’absurdité. Nous le savons d’ailleurs. C’est pour cela que, dans la plupart des cas, nous en avons honte. Depuis plus d’un siècle, nous, êtres humains, essayons par tous les moyens de rendre civilisé l’acte inhumain par excellence : tuer quelqu’un de sang froid. Et cela nous coûte.
À moins bien sûr, d’adopter le modèle ISIS de l’exécution publique sur YouTube. Auquel cas, notre descente dans la barbarie sera complète.