Une « dame de fer » pour compenser la faiblesse de Merten

Parfois, (re)lire les câbles diplomatiques du Département d’État d’Hillary Clinton publiés par Wikileaks sait être, excusez du peu, hilarant. Dans un email de l’ancienne ambassadrice Pamela White, elle partage avec enthousiasme une remarque qu’elle aurait reçue d’amis en Haïti. Une remarque faite au Carnaval et que je reprends ici textuellement :

During the Carnaval festivities: A lady from the France Embassy told me last week: The USA is sending the « iron lady » to Haiti. That woman has a reputation. Murten is too weak. With the new US Embassador: « Fini la recreation ». (I remained speechless, I smiled and I said: « Wao! »

FROM FRIENDS IN HAITI, Hillary Clinton Email Archive, 2012-02-28 17:50, Wikileaks.org

Last week, c’était le mardi 21 février 2012, le mardi-gras, le troisième et dernier jour du carnaval national au cours duquel les participants portent des masques et des costumes. Une dame de l’ambassade de France y aurait dit qu’avec la nouvelle ambassadrice américaine, la « récréation »- sous la direction trop faible de l’agent Merten – était finie. Cette information capitale aurait été transmise à l’ambassadrice en question, qui se serait empressée de la partager avec la directrice de cabinet d’Hillary Clinton, alors Secrétaire d’État américaine – avec la mention « I get lots of these but thought this one to be interesting » (Je reçois beaucoup de ce genre d’informations mais j’ai trouvé celle-ci intéressante) – laquelle aurait à son tour transmis l’information à Mme Clinton, avec la mention « Fyi » (Pour votre information).

Nous sommes à la fin du mois de février 2012, quatre jours après que l’ancien Premier ministre Garry Conille ait été démissionné pour avoir osé remettre en question des contrats de 385 millions de dollars signés in extremis par son prédécesseur Jean-Max Bellerive, aujourd’hui sous sanctions américaines. L’information en question concerne surtout Laurent Lamothe, alors pressenti pour le poste de Premier ministre haïtien. Nous y apprenons que:

  • Laurent Lamothe, âgé de 39 ans, est un bon ami du correspondant de l’ambassadrice et a passé plusieurs nuits à réfléchir à la proposition de devenir Premier ministre de Martelly.
  • Les amis et la famille de Lamothe pensaient qu’il n’avait pas vraiment le choix, même si accepter le poste sacrifierait ses chances de succéder à Martelly en 2015.
  • Le président Martelly n’est ni fou ni stupide, mais plutôt excentrique, utilisant la vulgarité comme méthode d’intimidation envers ses opposants.
  • Martelly se présente sous deux facettes : Michel et Sweet Micky.
  • Lamothe est un jeune homme raffiné, éduqué aux États-Unis, qui a réussi mais qui manque d’expérience politique. Il possède une attitude positive, un esprit d’entreprise aiguisé et un désir de rester « propre ».
  • Si Lamothe accepte le poste de Premier ministre, Martelly fera des concessions pour lui permettre de prendre des décisions difficiles, et lui-même adoptera un comportement plus approprié.

La remarque sur la « dame de fer » vise évidemment à mieux accueillir l’audace énorme de la présentation de Laurent Lamothe comme ayant le désir de rester « propre », alors qu’il traînait avec lui une réputation peu glorieuse de ses affaires en Afrique, et qu’il finira par être expulsé des États-Unis pour corruption et le détournement de 60 millions de dollars des fonds Petrocaribe. Ce qui est étonnant, c’est qu’une manipulation aussi évidente soit passée crème. Mais bon, fromage, corbeau, renard et toussa.

Pourtant, deux jours plus tôt, le 26 février 2012, Laura Graham, directrices des opérations de la Fondation Clinton et directrice de cabinet de Bill Clinton, qui a parfois séjourné à la résidence du Premier ministre Bellerive en Haïti, écrivait à Cheryl Mills pour exprimer son incrédulité face à l’ampleur de la corruption et à l’arrogance qui l’accompagnent de la part de ceux impliqués dans le pillage de Petrocaribe. Mme Graham voyait dans ces contrats la raison pour laquelle le président Michel Martelly était prêt à attaquer son ancien collègue Gary Conille – avant d’être Premier ministre, M. Conille était directeur de cabinet de Bill Clinton en tant qu’envoyé spécial des États-Unis en Haïti – par tous les moyens pour empêcher que les détails des contrats – Graham soupçonne que c’était là l’intention de Martelly – ne deviennent publics.

La chaîne d’e-mails vaut le détour mais en voici un bref résumé. Les messages échangés entre plusieurs destinataires portent sur la situation politique en Haïti, notamment sur les contrats susmentionnés, les pressions exercées par le président Martelly, les menaces envers Garry Conille, les groupes armés, ainsi que la nécessité d’assurer la sécurité de ce dernier. Certains messages suggèrent des actions à entreprendre pour influencer Michel Martelly et le Parlement, tout en mettant en évidence les risques pour la vie et la réputation de Garry Conille.

Mais peut-être Mme Graham était-elle juste en proie à l’hystérie naturelle des femmes. Le mois de décembre précédent, d’après le New York Post qui cite une fuite de Wikileaks, Doug Band, un proche conseiller de Bill Clinton, aurait indiqué à d’autres collaborateurs qu’il avait dû la dissuader de plonger sa voiture dans les eaux autour de Staten Island en raison du stress engendré par « wjc (Willijam Jefferson Clinton, ndlr) et cvc (Chelsea Victoria Clinton, ndlr) ». N’est pas « dame de fer » qui veut.

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