Si m te twonpe w, m ta konprann

C’est la phrase qui m’a le plus fait mal dans l’affaire Jerry Graffiti. Si m te twonpe w, m t ap konprann. Si je t’avais trompée, j’aurais compris. Cette phrase d’une victime qui cherche à donner un sens à la violence de son bourreau. Car, enfin, si notre mari nous aime et qu’il nous frappe, à nous défigurer le visage, il faut que nous ayons fait quelque chose de grave.

Jerry Moïse Rosembert est un graffeur bien-aimé dans la communauté. Adulé même. Ses graffitis ornent les murs de la capitale. Il est de tous les festivals. C’est un artiste engagé pour la démocratie et les droits des femmes en Haïti. Son art parle d’amour, d’espoir mais aussi de masculinité toxique à rejeter absolument.

C’était en 2018. Nous ne savions pas encore qu’il battait régulièrement sa femme depuis une décennie parce que celle-ci osait, de temps à autre, lui demander d' »aider à la maison, avec les enfants ». L’artiste aux murales sur l’égalité homme-femme était trop occupé à la peindre pour s’occuper de la pratiquer. Jusqu’au 11 juin 2020 où la toile haitienne explosa.

Ce jour-là, Julie Rimpel, l’épouse de Monsieur Rosembert, publie, sur son compte Facebook, son calvaire de femme confinée victime de violence domestique. Dans ces publications – promptement effacées puis remplacées par une publication de son mari s’excusant sans s’excuser et laissant entendre qu’il y aurait des choses que nous ne savons pas – Mme Rimpel explique sa décision de parler enfin, après 10 ans, par le fait que, cette fois, les violences physiques s’accompagnent de menaces de mort.

Certain.e.s – il y en a toujours – l’invitent à effacer ces messages et essayer de trouver une solution avec son mari pour éviter le scandale. Une proposition qu’elle rejette parce que, après 10 ans, elle n’en peut plus et, surtout, elle ne comprend pas que son Jerry en soit arrivé à la menacer de mort alors qu’il ne l’avait même pas trouvée avec un autre homme. Parce que, eusse été le cas, elle aurait compris.

En lisant cela, j’ai eu un pincement au cœur. J’ai eu envie de la prendre avec moi, de l’asseoir gentiment et de lui répéter patiemment jusqu’à ce qu’elle l’intériorise, qu’elle n’a pas à comprendre que son mari la menace de mort. En aucune circonstance. Qu’elle n’a pas à chercher à comprendre pourquoi son mari la bat régulièrement. Qu’elle n’y est pour rien. Qu’il a l’entière responsabilité de ses actes … et qu’il devrait payer pour.

J’ai eu envie de rager. Rager contre une société qui a réussi convaincre la femme haïtienne que son mari peut la frapper si elle brûle la nourriture, argumente avec lui, sort sans lui dire, néglige les enfants, refuse des rapports sexuels… et qu’il pouvait même, jusqu’en 2005*, la tuer par amour, en vertu de l’article 269 du code pénal qui, dans le cas de l’adultère (art. 284) considère excusable le meurtre commis par l’époux qui surprend les amants in flagrante delicto.

Emmus 2016-2017, p 365.

L’article 284 concerne l’adultère de la femme qui doit être dénoncé par le mari, à condition qu’il n’aie pas, lui, entretenu une concubine dans la maison conjugale (article 287). Le cas échéant, il paiera une amende de 100 à 400 gourdes. En dehors, de la maison conjugale toutefois, le législateur est muet et, visiblement, aveugle. Sa femme, par contre aura droit à une peine d’emprisonnement de 3 mois à 2 ans, avec la possibilité pour son mari d’arrêter l’effet de la condamnation en consentant à la reprendre (art. 285).

Le nouveau code pénal de Jovenel Moïse ne mentionne pas l’adultère. Après tout, le mariage est une affaire civile, autant qu’il le reste. Du reste, la France ayant dépénalisé l’adultère depuis le 11 juillet 1975 et notre nouveau code pénal ayant été très inspiré – les mauvaises langues diront plagié – du code français, la chose va de soi.

Cette disposition n’a pas réussi à provoquer de manifestation contre son immoralité mais elle ne va pas moins à l’encontre de ce que certains perçoivent encore comme parfaitement acceptable.

Comme une juste réparation de l’orgueil blessé du mâle… que même sa femme assassinée comprendrait.


La disposition a été abrogée par le décret 6 juillet 2005 sur les agressions sexuelles.

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