Subventionner ou non les prix du pétrole est une décision de politique publique, aussi doit-elle être analysée en tant que telle – quels en sont les objectifs ? pour quels résultats ? quel impact ? et quelles conséquences? – sur la base de données factuelles. Il importe donc de s’attacher à mesurer le niveau d’adéquation de la solution proposée au problème identifié.
Chez nous, les « débats » autour de la subvention des prix à la pompe existent depuis qu’il y a eu de la subvention des prix à la pompe. Ceux qui sont pour brandissent le pauvre peuple. Ceux qui sont contre brandissent le pauvre gouvernement. Je fais le vœu qu’un jour l’un ou l’autre camp déplace le débat, de l’opinion des uns et des autres quant au coût à la pompe, vers l’analyse de la pertinence des choix de politiques publiques qui le sous-tendent.
Haïti n’est pas le seul pays au monde à subventionner le pétrole. La pratique est, au contraire, plutôt courante, suscitant une timide opposition tout en ajustement structurel du Fonds Monétaire International et une vive opposition tout en transition énergétique des militants écologistes. Au mois de mai 2019, un document de travail du FMI évalue à $5.2 trillions de dollars la subvention des énergies fossiles à travers le monde, soit 6.3% du PNB mondial. Ce rapport concerne 191 pays et présente combien les États s’attachent à subventionner le charbon (44%), le pétrole (41%), le gaz naturel (10%) et l’électricité (4%). Nous sommes donc loin d’une situation sui generis pour laquelle il faille inventer des outils d’analyse. Le FMI retient trois composantes de base en termes d’efficacité :
- le coût économique (ou le coût d’opportunité) de la subvention pour les consommateurs, en relation avec les prix de référence internationaux
- les coûts environnementaux associés à la consommation d’énergies fossiles (mortalité liée à la pollution aérienne, réchauffement climatique.. )
- les revenus de l’Etat en termes de taxes à la consommation, généralement par rapport aux taux pratiqués pour les produits à la consommation
Pour les besoins de la discussion – et parce que ce billet est une invitation à aller plus loin et non une analyse formelle de la question – nous nous arrêterons au dernier. Nous savons que l’Etat haïtien a renoncé à prélever les taxes prévues sur les produits pétroliers. Le Président de l’Association nationale des distributeurs de produits pétroliers (ANADIPP) offre des chiffres.
Au cas où l’État déciderait de prélever toutes les taxes prévues sur les produits pétroliers, les coûts du diesel et de la gazoline seraient respectivement de 332 gourdes et de 365 gourdes.
« ANADIPP fait le point sur la structure des prix des produits pétroliers », Juno 7, 13 septembre 2019
Le prix du gallon de gazoline à la pompe est de 224 gourdes, soit un manque à gagner de 141 gourdes par gallon. C’est beaucoup, ou c’est peu, dépendamment de ce que cette subvention prétend accomplir. C’est ici que la qualité du débat actuel – et ses accents patriótico-populistes – me désole. Au final, le montant de la subvention importe peu, la vraie question est celle de sa pertinence et de son utilité.
Pourquoi subventionner le carburant de détail ? Pour, selon l’expression consacrée, acheter la paix sociale ? Dans ce cas, pour quelle efficacité ? Depuis les événements des 6-7 juillet 2018, nous pouvons difficilement dire que de maintenir les prix artificiellement bas ait conduit à la paix sociale. Pour faciliter le transport en commun ? En juillet 2018, le FMI proposait des bons de transports parallèlement à la hausse des prix, avec le succès que l’on sait.
La proposition intervenait dans le cadre de la signature entre le gouvernement haïtien et l’institution financière internationale d’un accord-cadre visant l’assainissement de nos finances publiques. Signé le 25 février 2018, ce Staff Monitored Program (SMP) devait durer de mars à août et visait à établir « des piliers solides pour la stabilité macroéconomique et une croissance forte et durable sur le moyen terme », par l’adoption d’une « politique budgétaire [] axée sur la mobilisation des recettes et la rationalisation des dépenses courantes », c’est-à-dire
des mesures visant à améliorer la perception et l’efficacité des impôts et à éliminer les subventions excessives, y compris sur le carburant de détail. D’autres réformes viseront à endiguer les pertes de la société publique d’électricité (EDH) qui, ces dernières années, ont représenté une part non négligeable du déficit public, en améliorant l’efficacité de la facturation et en réformant les pratiques contractuelles.
Le FMI exige l’arrêt des subventions pour l’EDH et le pétrole en Haiti, Loop Haïti, 26 février 2018
Au début du mois de juillet, le gouvernement s’essaya à réduire les subventions du carburant en espérant ardemment que la magie du football aiderait à faire passer la pilule. Un an, et une gourde à 0,011 dollars plus tard, nous voilà, pour la troisième fois à faire la queue dans les stations services dans l’espoir souvent vain de remplir notre bidon, le réservoir de notre véhicule et, désormais, celui de nos génératrices. L’on annonce 500 000 barils pour lundi mais avec une consommation évaluée à 14 mille barils par jour, le répit sera court. Nous sommes donc dans une impasse.
Faut-il maintenir telle quelle la subvention du carburant de détail ? Au 6 juillet 2018, il fallait 62,76 gourdes pour un dollar. Aujourd’hui, un an et deux mois plus tard, il en faut 94, et comme nous importons presque tout, l’inflation continue de grimper à raison de 1.6% par mois (IPC, IHSI). Certes, les prix à la pompe n’ont pas augmenté mais ils sont bien les seuls. La stabilisation des prix de consommation espérée de la stabilisation des coûts de transport n’a pas eu lieu.
Alors que faire ? Suivre les recommandations du FMI et réduire les « subventions excessives » du pétrole et de l’électricité pour les remplacer des « investissements publics critiques dans les infrastructures, la santé, l’éducation et les services sociaux ». Pourquoi pas ? Mais peut-être pourrait-on aussi intervenir sur l’efficacité de nos douanes – qui, entre lutte contre la contrebande et suppression des franchises contraindrait à importer moins et réduirait la concurrence déloyale à laquelle est soumis nos producteurs locaux – la rationalisation des dépenses publiques – en achetant moins de cabris à 31 000 gourdes, de café à 150 millions ou de vote à 100 000 dollars – et les contrats de l’ED’H.
C’est ici que la sociologie de l’action publique et la science administrative doivent voler à notre secours pour replacer la question, au-delà de la guerre des chiffres économique, dans le débat plus large de la capacité de l’Etat haïtien à réguler la vie sociale et à mobiliser acteurs et ressources pour atteindre à des buts collectivement négociés.
#AyitiNouVleA se ak lasyans ak bon konprann n, n ap konstwi l.