Quatorze ans après, se demander où sont les inculpations pour la débâcle de la CIRH

Aujourd’hui, toute la journée, comme c’est la coutume depuis 14 ans, nous avons commémoré le séisme du 12 janvier 2010, pour célébrer la vie de ceux et celles qui sont partis et nous rappeler de ne pas oublier. Aujourd’hui, comme à chaque 12 janvier, nous avons ressorti quelques platitudes auxquelles nous avons longtemps cessé de croire, avec une solennité certes déclinante, mais tout de même, il faut marquer la date. Ce soir, maintenant que les hommages sont terminés, je m’essaie à suggérer un petit coup de projecteur sur l’un des plus grands responsables de nos malheurs post-séisme : la commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, la CIRH, dont l’un des co-présidents, l’ancien Premier Ministre Jean-Max Bellerive, est désormais sous sanctions américaines et, accessoirement, inculpé par le juge Al Duniel Dimanche dans le cadre d’une affaire de corruption au Centre National des Équipements : CNE.

C’est d’ailleurs le juge Dimanche et ses inculpations en série – suivies de mandats d’arrestation pour ceux qui ne se sont pas présentés à son cabinet – qui m’ont donné l’idée. Enfin, lui et un grand lecteur du blog enchanté de voir la justice haïtienne enfin bouger « contre tous ces gens qui ont détruit et continuent de détruire le pays ». Vous devez le trouver très et même trop optimiste – ne vous inquiétez pas, il le sait – mais après 5 années à désespérer, il faut s’autoriser quelques illusions.

Notre lecteur croit donc qu’appliquer à la CIRH le traitement CNE serait une meilleure façon de célébrer la vie des disparus et d’offrir réparation à ceux qu’ils ont laissés derrière eux. L’idée n’est pas mauvaise. Il y a certainement de quoi creuser. Tant d’argent a été dépensé sous le couvert de la loi d’urgence qui nous a valu la création de la CIRH. Jean-Max Bellerive et ses actes de corruption présumés dans le cadre de PetroCaribe ne font pas sens en dehors de cette drôle de couverture internationale pour les pires détournements de fonds de toutes sortes – et je ne parle pas que du demi-milliard de la Croix rouge américaine – que se révélera être là CIRH. Mais, de façon plus importante encore, sans la CIRH et les démarches conjointes du couple Clinton et de leurs laquais locaux, nous aurions pu éviter l’ère PHTK et ses malheurs.

En ce 12 janvier 2024, encourageons l’ULCC à s’intéresser à la CIRH et prions pour un nouveau rapport Joseph au mitan de l’année et quelques arrestations avant la fin de l’année. Ainsi, l’année prochaine, 15 ans après le séisme, pourrions-nous célébrer la vie en plein procès CIRH… en attendant #PwosèPetroCaribeA.

Les rapports de L’ULCC de Hans Joseph

La dépression tropicale m’ayant privée de ma connexion Internet via satellite, j’ai pris le temps de relire les résumés des 11 rapports d’enquête de l’unité de lutte contre la corruption publiés ce 15 novembre 2023, et il se trouve que j’ai des choses à dire. Cette nouvelle fournée porte à 40 le nombre de rapports transmis à la justice par l’ULCC en 27 mois: 10, le 4 août 2021; 10, le 25 août 2022; 9, le 3 mars 2023; et 11 ce mercredi. Nous voilà donc partis pour une nouvelle série de billets – je sais que cela fait un certain temps que nous n’en avons pas eu sur le blog – où nous allons discuter de ces rapports, de leurs implications, et surtout de mes vœux pour les personnes indexées.

Dans toute l’histoire de l’institution, l’ULCC n’avait jamais produit autant de rapports. Arrivé à sa tête le 27 juillet 2021, Me Hans Jacques Ludwig Joseph semble déterminé à constituer des dossiers sur tous les cas de corruption de la République. Une détermination d’autant plus intéressante qu’il occupait auparavant le poste de directeur de cabinet du précédent directeur, une position généralement privilégiée pour avoir une connaissance approfondie des affaires internes.

Ce précédent directeur, Me Rockfeller Vincent, a un parcours particulier : révoqué en 2017 pour « absence de performance » alors qu’il était substitut commissaire du gouvernement près la Cour d’Appel du Cap-Haïtien, il a grimpé dans la hiérarchie pour devenir le directeur de l’ULCC, puis Ministre de la Justice et de la Sécurité publique. Suspecté d’avoir été complice de l’assassinat du président Jovenel Moïse – tout comme Joseph Badio, un ancien de l’ULCC considéré comme l’un des cerveaux du crime et récemment incarcéré au pénitencier national – M. Vincent sera remplacé le 15 septembre 2021 par le ministre Berto Dorcé. Ce dernier sera contraint à la démission un an plus tard puis sanctionné pour corruption par le Canada.

C’est donc de cette riche matière qu’émerge la nouvelle ULCC dont les 40 derniers dossiers éclaboussent des personnalités de tous les secteurs:

  • Le lot du 4 août 2021 dévoile des détournements de fonds et de biens publics, des pratiques commerciales illégales, des abus de fonctions ainsi que la passation illégale de marchés publics.
  • Le lot du 25 août 2022 expose « des faits de corruption totalisant 500 millions de gourdes ».
  • Le lot du 3 mars 2023 révèle des infractions graves dans une dizaine d’institutions publiques.
  • Le lot du 11 novembre 2023 s’intéresse à des contrats de location, à la gestion des équipements publics, aux à l’attribution de bourses d’études. C’est par ce lot que nous débuterons la série.

Comme il fallait sans doute s’y attendre, chaque résumé exécutif débute par une action directe de Me Joseph qui prend la décision explicite d’ouvrir une enquête (1, 2, 3, 11), de mandater un bureau départemental (4, 6), des agents de l’ULCC (5), voire une commission (7, 8, 9). Le seul résumé exécutif à utiliser la voix passive, mentionnant « une enquête a été ouverte », précise néanmoins qu’elle a été réalisée « sous mandat et instructions de Me Hans Jacques Ludwig Joseph ». Cette personnalisation marquée des enquêtes menées par l’ULCC témoigne clairement du volontarisme guidant leurs démarches actuelles. Les références aux articles 11 et 12 du décret du 8 septembre de l’ULCC justifient la formule.

Nous pouvons donc raisonnablement conclure que le Directeur général de l’ULCC entend faire connaître le travail de l’institution et entend que l’on sache qu’il est à l’origine de ce travail. Ce que nous lui reconnaissons volontiers. Ce n’est toutefois pas une raison pour ne pas lui donner un coup de main et contribuer à maintenir la lutte contre l’impunité dans l’espace public.

Demain, donc, causons du port de Saint-Marc.