Un coup d’État via seppuku

Le futur Président Premier Ministre de la République est désormais connu. Il s’agit de Garry Conille, premier Premier ministre de Michel Martelly,  évincé du pouvoir il y a 12 ans pour cause de lèse-présidence. Aujourd’hui, il revient dans la même position, mais cette fois-ci sans président, ce qui ne peut que rendre sa revanche plus belle.

Si tout se passe bien, c’est par l’article 28 du nouveau décret déterminant l’organisation et le fonctionnement du Conseil Présidentiel (CPT) que le coup de grâce arrivera.

Si le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) se trouve dans l’impossibilité temporaire d’exercer ses fonctions, le Conseil des ministres, sous la présidence du Premier MInistre, exerce le Pouvoir Exécutif tant que dure l’empêchement.

Article 28.1

Cette impossibilité temporaire est prévue dans le cas où cinq membres votants se trouvent empêchés pour une raison quelconque (28) or le CPT ne se réunit valablement qu’avec la présence de 2/3 de ses membres (15) et ne décide valablement qu’en présence d’au moins 5 membres votants (15.1). En réalité, il suffit que 3 membres du Conseil acceptent de se faire seppuku pour que le Premier Ministre Conille soit le Président Conille. Et pourquoi pas ? Qu’est-ce qu’Ariel Henry avait que lui n’a pas? Henry est médecin, lui aussi. Il avait un chef d’État moribond, lui aussi. Le CPT ne le sait peut-être pas encore mais il est déjà mort.

Ce décret dûment signé par les conseillers-présidents est une distraction. Sur ce blogue, nous n’avions pas arrêté de signaler l’abence de contenu du CPT. Ce blog compte des conseillers et conseillers adjacents parmi ses lecteurs. Il fallait bien qu’on finisse par lui en donner un de contenu. Sauf que ce ce contenu n’en est pas un.

Nonobstant les références grotesques à la Constitution, le CPT est en violation de celle-ci. Si nous avions accepté de faire un coup d’État dans les règles, nous aurions pu l’admettre, mais nous n’en sommes pas là. Le CPT, organe de facto, appelé à exercer les fonctions présidentielles – d’après les nouveaux considérants de ce décret et non plus des fonctions spécifiques comme dans le décret de sa création – ne pourra pourtant pas les exercer parce qu’il n’en aura tout simplement pas le temps.

La liste des tâches du CPT ferait pâlir d’effroi les nettoyeurs des écuries d’Augias. Il doit s’occuper (article 9) de la sécurité publique et nationale et d’organiser les élections mais également du redressement économique, de la réhabiltiation des infrastructure, la sécurité alimentaire et sanitaire, de la conférence nationale et de la question constitutionnelle, l’État de droit, la justice et les droits humains, le tout en sus des 23 obligations prévues à l’article 8. Certes, il y a des répétitions dues au fait que ce décret est un amas de copier-coller de textes précédents qui n’a pas bénéficié d’une relecture, mais il n’est aucun monde dans lequel un CPT aux moyens d’action aussi confus qu’inconstiutionnels réussira à faire tout cela et trouver le temps de présider aux destinées de la République.

Le décret contraint le CPT à adopter une gestion collégiale, où même les désaccords les plus mineurs paralysent les processus décisionnels pendant des jours, voire des semaines. Cette réalité est d’autant plus problématique que les membres du CPT sont nommés et non élus, ce qui leur ôte toute légitimité démocratique. En ajoutant à cela une présidence tournante, dont l’unique fonction est de coordonner les activités, on affaiblit davantage la continuité du leadership, laissant ainsi au Premier ministre une influence accrue.

Le CPT, embourbé dans ses multiples responsabilités, sera trop occupé pour réaliser que cette situation favorise le renforcement du pouvoir du Premier ministre, qui pourra aisément contourner les mécanismes de contrôle établis. L’Organisme de Contrôle de l’Action Gouvernementale (OCAG), mentionné dans le décret organisant le CPT, est essentiel pour contrôler les actions du Premier ministre en l’absence du Parlement. Or cet organisme n’existe pas; le fameux accord du 3 avril n’ayant jamais été publié au Moniteur et n’étant pas mentionné dans les décrets. Il passe ainsi de l’état de projet mort-né à celui d’idée enterrée.

On notera pour finir que, hormis le futur seppuku, les tâches trop nombreuses et l’absence de contrepoids, le mandat du premier ministre dont le rôle faut-il le répéter est prévu par la constitution, n’est pas limité. C’est le CPT qui doit partir le 7 février 2026 sans possibilité de prolongation. Le président Conille pourra demeurer en poste aussi longtemps que ceux qui ont soutenu sa candidature le souhaiteront.

D’aucuns se réjouissent de l’avènement de la présidence Conille. Enfin, disent-ils, un technocrate, un homme compétent pour mettre de l’ordre dans le pays, en oubliant que la seule expérience pertinente de Monsieur Conille en relation avec son nouveau poste est celle de son mandat précédent, dont il a été rapidement démissionné. Du jour au lendemain, il s’est retrouvé sans voiture officielle ni sécurité, à tel point que Laura Graham, son ancienne collègue et celle qui l’avait remplacé à la Fondation Clinton, a dû intervenir. Dans un courriel empreint d’émotion, elle a partagé ses craintes bien réelles concernant la sécurité du deuxième homme du pays.

From: Laura Graham

Sent: Sunday, February 26, 2012 7:02 PM

To: Jon Davidson

Subject: Garry’s security + reputation risk

GC will not leave because 1. He is constitutionally required to stay. 2. He doesn’t want to look as though he’s fleeing and allow MM people to dish that he did something wrong 3. He doesn’t want to give MM the ability to appoint an interim caretaker PM who will be a yes man and thus will do things that are illegal including pre-dating bad contracts that GC refuses to do. If you pre-date the contracts to b4 GC resignation then the money can be spent by a caretaker GoH. If its not pre-dated it can’t sign new deals.

Though I understand and agree with GC points for staying, his life has and continues to be threatened by people associated with MM and MM has said himself he will do all it takes to take GC down (now whether that means harm or kill him or harm his reputation no one knows, but we cannot afford that risk). The US – Cheryl – promised him American backed security immediateluy (sic) but when he met with Merten yesterday Merten was not only in the mind frame of « well MM is not such a bad guy and he’s better than previous presidents » but he didn’t discuss or offer any security. Every day, GC life and reputation are at risk. The US and or the IC must go to MM and tell him that nothing is to happen to GC, not even a tree accidentally falling on him, or MM will face consequences. That needs to be delivered immediately. GC believes and trusts Cheryl’s word but doesn’t trust Merten or see the action or desire by Merten to carry it out. This is critical and you can help here by talking to HRC and or Cheryl. This needs to happen immediately. GC and his family are very fearful.

Dans le mail, Graham insiste sur la nécessité d’une action immédiate de la part des États-Unis et de la communauté internationale pour assurer la sécurité de Conille, mettant en avant l’urgence de la situation due à ses craintes constantes pour sa vie et sa réputation. Conille, explique-t-elle, était réticent à quitter son poste en raison de ses obligations constitutionnelles, de la crainte de paraître fuir et de son désir d’empêcher la nomination d’un Premier ministre intérimaire complaisant par Michel Martelly. Cependant, les menaces contre sa vie, provenant d’individus associés à Martelly, et les doutes quant à la fiabilité des assurances données par les États-Unis par le biais de Cheryl Mills, face à l’indifférence de Kenneth Merten, auront finalement conduit Conille à renoncer à son poste. Il est donc légitime de remettre en question la compétence de Conille, surtout maintenant qu’aux bandits légaux se sont associés des bandits de facto qui contrôlent désormais la capitale à hauteur de 80%, et que sûrement ajouter une ligne de plus à son CV pour sa carrière internationale ne vaut pas tout ce stress supplémentaire.

Hier, un lecteur exprimait son désarroi face au soulagement généralisé observé dans le secteur privé, la communauté internationale et la classe politique à l’idée de l’arrivée d’un technocrate à la tête du pays. Il soulignait avec une certaine amertume que la politique, avant d’être technique, est avant tout une question d’éthique. Or, aucune pensée éthique ne semble animer cette élite multiforme convaincue de l’infériorité d’un peuple haïtien qu’ils méprisent. Et c’est difficile d’attendre de gens dépourvus de la moindre éthique de penser éthiquement. D’autant que la préoccupation actuelle n’est pas tant celle des compétences du nouvel arrivant mais celle de sa convenance. Cette nouvelle administration ouvrira-t-elle la voie à de nouvelles opportunités de pillage? Si la réponse est oui et bien la leur aussi.

Dans le cas contraire, nous pourrions vite nous retrouver avec un CPT mort, un Conille en fuite et un coup d’État dans les règles désormais inévitable.

5 réflexions sur “Un coup d’État via seppuku

  1. Bonjour Patricia,

    Je n’avais jamais lu cet article dans le décret. Il a fallu que tu fasses cette publication pour que j’en prenne connaissance. M’ panse li t’ap toujou ladan l’ paske yo pa ka kreye vid enstitisyonèl, si gen yon fòs ki pa ka mache, li bon pou yo di kijan peyi a ap fonksyone epi ak ki otorite pandan tan endisponiblite youn nan pouvwa yo.

    Kenbe la

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    1. En quoi cela créerait un vide constitutionnel ? Ce n’est pas comme si le CPT était institutionnel; c’est un organe provisoirement.

      Nous avons 9 conseillers-présidents. Quelle est la probabilité que la majorité soit empêchée pour prévoir un tel article ?

      Le plus urgent était de contrôler le PM et il n’y a rien de prévu à cet effet. Il a un boulevard devant lui et, contrairement, à son prédécesseur, aucune date de péremption.

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      1. Pendant tout le temps « provisoire » je devrais préciser.
        La probabilité est…lollll
        Je pense également la logique de départ était l’officialisation du Conseil. Les réflexions ne portaient pas sur la co-direction du pays CPT-PM. Ce qui est certain est que la tenue des élections crédibles constitue un point impirtant du mandat du nouveau gouvernement.

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