C’est un retour au pays natal bien plus fructueux qu’il ne s’y attendait. De passage au Cap Haïtien, ancienne capitale du Royaume du Nord, le français aux liens créoles – sa mère est une mulâtresse haïtienne, son père un riche spéculateur français né en Martinique – Gérard de Catalogne découvre que, en Haïti, les nationaux, anti-libéraux, anti-démocrates sont nombreux, organisés et convaincus. Il était venu proposer une conférence sur Léon Daudet au prestigieux Cercle Printania et en ressortit positivement impressionné par les affinités entre la jeune élite intellectuelle haïtienne et la Jeune droite française telle que représentée, notamment, par Charles Maurras et son journal L’Action française que De Catalogne avait rejoint en 1927. Dans un article intitulé « L’influence française en Haïti », paru dans le numéro du 17 novembre, il décrit ainsi sa révélation :
Aussi ma surprise fut-elle immense de m’apercevoir…que non seulement rien de ce qui est français n’était inconnu à mes auditeurs, mais que, de plus notre mouvement national avait acquis et conservé des sympathies et des dévouements en très grand nombre. Lorsque j’eus prononcé les noms de Charles Maurras, de Maurice Pujo, de Jacques Bainville et des autres chefs de l’Action française, les applaudissements éclatèrent spontanément.
Quinze ans plus tard, ayant depuis fondé le journal Le Soir, De Catalogne offrira une liste des fervents admirateurs du « maître de l’empirisme organisateur » et abonnés au journal se lit comme un who’s who de l’époque. Dans Bienfait de l’intelligence (Le Soir, 1942) – cité par Chelsea Stieber dans « Gérard de Catalogne, passeur transatlantique du maurrassisme entre Haïti et la France« – il liste :
Sténio Vincent, futur président de la République, Louis Mercier, professeur renommé et historien capois, deux jeunes écrivains du mouvement indigène, Antonio Vieux et André Liautaud, aussi bien qu’un médecin, Maurice Ethéart et le futur secrétaire d’Etat des Finances, Abel Lacroix, tous ont proclamé leur fidélité aux idées de Maurras. En fait, Lacroix a confié à Catalogne une lettre et un don de 800 francs «pour la propagande du nationalisme intégral» que Catalogne apporte à Maurras de sa part.
La fin de l’occupation américaine – cette seconde indépendance haïtienne – lui donnera l’occasion rêvée de prêcher son évangile de « l’ordre et la discipline, la défense de la civilisation occidentale et du catholicisme, l’anti-républicanisme, l’antilibéralisme et l’anti-individualisme, le développement et le maintien d’une élite pour gérer les intérêts intellectuels du pays ». Sa fortune aura quelque peu changé avec Haïti rejoignant les Alliés, grand promoteur de la démocratie, le 8 décembre 1941 après l’attaque contre Pearl Harbor mais les années 60 allaient tout changer avec l’arrivée au pouvoir de François Duvalier dont il deviendra le guide intellectuel et spirituel.
Le voilà donc chargé de réaliser les Œuvres essentielles du Dr Duvalier, dans lesquelles nous retrouvons cette perle :
Prêcher la démocratie dans un océan de misères, de souffrances physiques et morales peut évidemment plaire aux peuples riches et à leur gouvernement mais n’arrive à convaincre aucun homme qui n’a pas encore pu satisfaire les nécessités premières de sa nourriture, de son logement, de son habillement, et de l’éducation de ses enfants.
Francois Duvalier, Mémoires d’un leader du tiers-monde, 1969.
La rhétorique d’une Haïti n’étant pas prête pour la démocratie se retrouve, ici, dans toute sa splendeur. Elle a été si souvent répétée qu’elle a été normalisée, intériorisée et naturalisée par une bonne partie de ce qui nous sert d’élite et de classes moyennes. Elle nous vient d’un conseiller politique illibéral d’un dictateur autocratique qui, à eux deux, n’ont jamais réussi à produire que peur, misère et désolation.
C’est en 1965, à l’occasion du 7ème anniversaire de l’hebdomadaire capois Le Nouveau Monde, fondé par De Catalogne, que la relation devient symbiotique. Présentant ses voeux au directeur, le Président François Duvalier écrit :
Le Nouveau Monde…cherche à guider, à expliquer à la nation les objectifs de la révolution duvaliériste, à en marquer la nécessité et à mettre en relief les effets bienfaisants d’une politique générale hardie et dynamique.»
Présentation du journal Le Nouveau Monde par le journal L’Union
Voici le Nouveau Monde devenu organe officiel du régime alors que le 22 janvier 1965, date de l’inauguration de l’aéroport international Maïs Gâté, Monsieur de Catalogne est nommé au poste de directeur général de l’Office national du Tourisme et de la Propagande (ONTP). Au 18 janvier 1967, Le Nouveau Monde se transforme en quotidien port-au-princien et, pour reprendre la description du journal L’Union, « un des plus importants instruments du régime pour jeter, puis consolider les bases idéologiques de son pouvoir ou, mieux, pour vulgariser les lignes doctrinales de ce qu’il a appelé la «révolution duvaliériste» ». Les directeurs successifs, Walter Préval, René Piquion, Ulrick Saint-Louis, Ulysse Pierre-Louis, Jean Narcisse et Jean A. Magloire, maintiendront ferme la ligne éditoriale.
Le 22 septembre 1977, dans un de ces actes de redondance dont il avait le secret, Jean-Claude Duvalier « nationalisera » le Nouveau Monde qui, à la réalité haïtienne, préférait les dépêches d’agences internationales. C’est ainsi que, en « l’an XXIX de l’Ère duvaliérienne »- le 6 février 1986 pour les gens normaux- le journal fera totalement l’impasse sur les manifestations de rue qui débouchera sur la fin de l’aventure duvaliérienne et, avec elle, du Nouveau Monde.