À l’insu du plein gré de la Macronie

Le Premier ministre français Gabriel Attal tient à ce que vous le sachiez. La décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale hier soir suite à la victoire de l’extrême-droite aux élections européennes a pris tout le monde par surprise, y compris lui. « Je suis le fusible » aurait-il dit à son président qui aurait refusé de le faire sauter, préférant faire sauter la majorité toute entière.

Le narratif est impressionnant. Serait-il sorti tout droit des consultants de McKinsey, cela ne surprendrait personne. Dommage que l’action de Macron ait été télégraphiée au moins un an à l’avance, à l’époque où la Première ministre Elizabeth Borne dégainait les 49.3 plus vite que son ombre. C’était dans Politis et, de façon particulièrement appropriée, le 1er avril 2023. Le magazine à la ligne éditoriale de gauche assumée titrait sur « la tentation de l’extrême banalisation » du Rassemblement National (RN), le parti d’extrême droite français.

Ce qui nous arrangerait, c’est une dissolution et un score suffisamment haut pour le RN, pour qu’on puisse mettre Le Pen à Matignon. Qu’on montre qu’elle est incompétente, comme ça on la décrédibilise pour 2027. Et elle devient inopérante. Donc plus de problème.

Cette « idée folle » est attribuée à « un membre à la tête d’un bureau départemental en région parisienne de Renaissance et, par ailleurs, conseiller national du parti présidentiel ». Le magazine précisait qu’il n’était pas de l’entourage direct de Macron mais peu s’en faut. L’idée n’est même pas nouvelle. La stratégie de la cohabitation a réussi à Mitterrand face à Chirac en 1988 puis à Chirac face à Jospin en 2022. La grande différence aujourd’hui est que cette fois l’adversaire serait non pas un politique d’un parti classique de gauche ou de droite mais Le Pen, même si, entre-temps, la fille a remplacé le père.

Toujours est-il que la majorité présidentielle n’a pas dû être très surprise par les résultats de ce dimanche. Elle s’est assurée de diaboliser la gauche – avec un Jean-Luc Mélenchon excellent dans son rôle de bogeyman – et la gauche la plus bête du monde®️ a travaillé dur à se diviser en factions belligérantes – grâce notamment à la brillante performance de Mélenchon et de ses insoumis. Tous les sondages annonçaient un passage obligé via le RN. C’est plutôt le contraire qui aurait étonné.

En décembre 2023, un sondage Elabe/BFMTV révélait que 46% des Français voyaient en Jordan Bardella, leader du RN, un futur « bon Premier ministre ». Si, après les élections express prévues les 30 juin et 7 juillet, le RN l’emportait, Monsieur Bardella qui s’est montré particulièrement vide et inepte pendant la campagne pourrait se retrouver à Matignon, à faire le guignol et à mobiliser les Français contre lui, juste à temps pour que le parti du président puisse ressortir un certain Gabriel Attal, jeune, cool et compétent pour récupérer les voix des nouveaux électeurs du RN qui sont très jeunes et se veulent cool et tous ceux qui seront restés chez eux parce qu’ils sont dégoûtés de la politique. La gauche française, étant la gauche française, peinera sans doute à s’unir en 3 semaines, le plan devrait fonctionner sans anicroche.

C’était le calcul d’Hillary Clinton en 2016. Et hop, on fait tout pour que Donald Trump devienne le candidat républicain à la présidentielle et le bonhomme a tellement de casseroles et est tellement vulgaire et stupide qu’il ne pourra que perdre. Une stratégie qui, comme nous l’avons vu, a eu un succès inespéré. Comme nous sommes sur Internet et que le point Godwin y est obligatoire dans les débats, nous pourrions citer un autre cas où une telle stratégie a fonctionné de façon assez inattendue pour nous donner Hitler et son Reich.

Le fait que dans les 3 cas il s’agisse de figures d’extrême droite n’est pas fortuit. Au risque de faire bobo, élite libérale et universitaire dans sa tour d’ivoire, l’électorat de l’extrême droite ne s’embarrasse pas de compétences ou même d’éloquence. C’est un électorat qui répond à des stimuli plus primaires généralement liés à la tradition, l’ordre et l’autorité. Les recherches du professeur canadien Robert Anthony Altemeyer sur l’autoritarisme de droite le disent assez. L’électeur d’extrême droite a une personnalité qui:

  • est naturellement soumise aux figures d’autorité qu’ils considèrent comme légitimes,
  • agit de manière agressive au nom desdites figures d’autorité, et/ou
  • est très conventionnelle (c’est-à-dire conformiste) dans sa pensée et son comportement.

Sa ferveur est quasi-religieuse. Les bourdes de Bardella ou de Trump importent peu parce que ce qu’ils incarnent – la tradition – est primordial.  La même approche vaut pour la première ministre italienne Georgia Meloni dont le parti Fratelli d’Italia (les Frères d’Italie) a triomphé aux élections européennes d’hier. Idem pour le reste de l’Europe où la vague brune continue de déferler, même si elle reste pour l’instant en rive. Mais jusques à quand.

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