Un directeur de police nommé illégalement pour combattre l’illégalité

Quatre ans après son limogeage pour inefficacité dans la lutte contre les gangs, Normil Rameau est de retour de Washington pour reprendre les rênes de la Police Nationale d’Haïti, avec pour mission urgente de réprimer ces mêmes gangs. Sa nomination viole ouvertement l’article 22 de la loi de 1994 sur la Police Nationale, qui exige la sélection parmi les directeurs centraux ou les commissaires divisionnaires, mais ce n’est pas une nouveauté. Ce choix s’inscrit dans une tendance plus large de réintégration dans l’administration publique d’individus déjà discrédités pour leur incompétence.

En 2020, le remplaçant de Rameau, Léon Charles, après une tournée diplomatique de 14 ans, était également revenu de Washington pour prendre la tête de l’institution dont il n’était plus membre. À l’époque, la presse et une bonne partie de la classe politique s’étaient insurgées contre ce non-respect flagrant de la loi, accentuant ainsi les critiques sur l’absence de progrès dans la réforme et la professionnalisation de la police. Depuis, les temps ont changé, ou alors la nomination de Léon Charles a fait « jurisprudence », puisque ce retour de Rameau semble passer comme une lettre à la poste.

Selon les prescrits de la Constitution (article 141), le Président – et donc aujourd’hui le Conseil présidentiel – nomme le Directeur Général de la police, après délibération en Conseil des ministres. L’article prévoit l’approbation du Sénat mais la formalité est impossible, les dernières législatives datant de huit ans. Mais nous ne sommes pas à un écart près, même si la récurrence des nominations politiques controversées et des violations de la règle de droit fragilise la stabilité institutionnelle et entrave les efforts pour améliorer la sécurité publique et le développement du pays.

Il semble donc que l’Exécutif non élu qui nous dirige ait, dans sa grande sagesse, conclu – comme l’avait fait le Président Jovenel Moïse avant lui – qu’un ancien directeur général révoqué pour son incapacité à assurer la sécurité est le meilleur choix pour garantir celle-ci. Pour Jovenel Moïse, l’issue fut peu heureuse. La nomination de Léon Charles s’est terminée par l’assassinat du président de la République dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, sans que les policiers attachés à sa sécurité n’opposent la moindre résistance à ses assaillants.

L’incapacité de maintenir l’ordre à Port-au-Prince semble en passe de devenir une qualification cruciale pour maintenir l’ordre à Port-au-Prince. Dans ce théâtre de l’absurde où la loi est violée à répétition et où les chefs de police incompétents se recyclent en diplomates avant de redevenir chefs de police incompétents, l’avenir de la sécurité haïtienne semble pris en otage par des décisions douteuses et une réflexion à courte vue.

Léon Charles était parti en 2004 de la direction de la PNH pour n’avoir pu faire face aux groupes criminels armés dans la suite du deuxième coup d’État contre Aristide et le lancement de l’opération Bagdad. Il a été démis de ses fonctions en 2021 pour les mêmes raisons, avec en prime l’assassinat d’un président en fonction avec la complicité de responsables de la police. Aujourd’hui, il est sur X (anciennement Twitter) à se plaindre de la situation du pays et à accuser des gens sans les nommer de maintenir le pays dans la crise actuelle.

Décider de remettre à la tête de la police un ancien directeur général qui revient après un pit-stop diplomatique à Washington, après avoir été lui-même remplacé par un autre ancien directeur général arrivant lui aussi de Washington, est définitivement un choix. Un chapitre de plus dans la triste saga de la gestion chaotique de la sécurité dans le pays. Un choix si parfaitement ironique que cela en devient presque comique dans une Haïti où l’ineptie est recyclée, les lois sont élastiques, et l’expérience une simple suggestion.

Nos dirigeants, élus ou non, semblent convaincus que la meilleure façon de garantir la sécurité est de rappeler ceux qui l’ont déjà compromise. Pourtant, des exemples de succès existent. En 2005, Léon Charles avait été remplacé par Mario Andrésol, ancien capitaine des forces armées d’haïti et ancien directeur de la Direction centrale de la policie judiciaire (DCPJ). Monsieur Andrésol a eu deux mandats consécutifs à la tête de la police avec des résultats concrets encore présents dans l’imagination populaire.

À son sujet, René Préval, qui l’avait nommé, avait été clair : ici aussi, Washington était impliqué, même si la nomination de M. Andrésol avait le mérite d’être parfaitement légale. « C’est l’international – lire les États-Unis d’Amérique – qui me l’a donné », disait alors le président Préval. Jovenel Moïse laissait entendre la même chose à propos de Léon Charles. Peut-être est-ce également le cas de Normil Rameau. Sauf qu’Andrésol lui, a un bilan, mais les deux autres, c’est quoi cette manie de les recycler ? Et tant qu’à recycler et violer la loi, pourquoi ne pas revenir avec le seul qui avait donné des résultats ?

Certes, chaque fois que la clameur publique le réclamait, Monsieur Andrésol a toujours insisté sur le fait qu’il ne pouvait revenir parce que ce serait en violation de la loi, mais il est évident que la loi ne veut plus rien dire dans ce monde post-juridique et que la nomination de personnes relevées de leurs fonctions pour inefficacité soulève des préoccupations quant à leur capacité à réellement améliorer la sécurité et à stabiliser le pays, surtout face à la montée de la criminalité et à l’instabilité politique.

D’autant que les Kényans peinent à arriver, alors que la mission multinationale d’appui à la sécurité en Haïti (MMSS) qu’ils dirigent doit être évaluée le 28 juin au Conseil de Sécurité des Nations-Unies. D’autant que, en juillet, la présidence du Conseil sera assurée par une Russie peu convaincue par la MMSS tandis que la Chine, son alliée sur ce dossier, est peu convaincue par les interventions de l’ONU en Haïti tout court. D’autant que le mandat d’un an de la MMSS arrive à expiration dans 3 mois.

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