Le billet Port-au-Prince-Cayes passe à 3500 gourdes pour répondre à l’augmentation des tarifs de péage des gangs

La grande nouvelle de la semaine n’est pas dans les médias. La compagnie de bus, Transport Chic, annonce que, à partir de ce samedi 15 juin 2024, le billet Cayes-Port-au-Prince est passé à 3500 gourdes. Cette augmentation n’est le fait ni de l’inflation galopante ni des coûts du carburants. Cette hausse des prix, nous la devons à nos nouveaux gestionnaires de routes: les gangs armés, ces braves entrepreneurs du bitume qui auraient décidé d’augmenter leurs tarifs de péage.

Dans une note affichée à sa gare à la rue Oswald Durand, la compagnie informe ses clients de l’obligation dans laquelle elle se trouve d’augmenter le coût du trajet vers le Sud à cause des exigences des gangs armés. Une annonce qui a le mérite de la transparence mais qui participe d’une tendance à normaliser l’inacceptable et à banaliser l’insupportable sous prétexte de résilience. Une annonce qui ne suprend plus lors qu’elle devrait choquer, troubler, indigner.

Depuis le magnicide de juillet 2021, nous nous sommes peu à peu habitués à l’emprise grandissante de ces groupes sur des fonctions qui devraient rester régaliennes : augmenter les prix de l’essence, fermer des infrastructures essentielles comme l’aéroport ou les ports, imposer des péages, et taxer la population. Nous avons même accepté qu’un chef de l’État de facto, Ariel Henry, soit empêché de rentrer puis forcé de démissionner suite à la mobilisation de gangs qui se sont plus ou moins associés. Le Conseil présidentiel créé pour jouer le rôle de chef d’État a abandonné le Palais national – ou ce qu’il en reste – en faveur de la Villa d’Accueil. Les ministres du Cabinet ministériel fraîchement nommé dirigent leurs ministères depuis des hôtels. La Capitale est abandonnée aux gangs qui sont réputés en contrôler 80% alors que l’administration centrale se rapproche de plus en plus de Pétion-Ville qui elle a aussi doit composer avec ces groupes armés.

Cette semaine, Radio Canada nous présente un reportage sur un quartier de Port-au-Prince qui, face à une telle défaite de l’État a décidé de se protéger lui-même en montant une brigade de surveillance libre de donner aux suspects, aux traîtres et autres indésirables assimilés, ce qu’ils méritent. C’est un nouveau normal qui s’installe. Certains paient des tarifs de péage pour passer en territoires perdus; d’autres montent des barricades pour empêcher aux bandits d’entrer sur leurs territoires. La sécurité et la justice deviennent des privilèges de plus en plus inaccessibles et cela n’interpelle plus personne.

Il y a encore quelques années, tout cela aurait été scandaleux. Aujourd’hui, cela fait partie du quotidien. L’on arriverait presque à applaudir ces innovateurs de l’ombre qui révolutionne le transport public et qui ont réussi là où tant d’autres ont échoué. Ils auront réussi à imposer des frais de péage, une tâche jusque-là impossible pour n’importe quelle autorité locale qui s’y était essayée. Après, cela pourrait aller très vite. Des voies rapides pour les bus qui paient un premium. Des escortes pour les voitures privées. Des

Il ne faut pas s’y tromper. Ces « taxes » imposées par les gangs ne sont que la pointe de l’iceberg. Augmenter le prix de l’essence, fermer des infrastructures essentielles, et maintenant jouer les percepteurs de péages : les gangs s’arrogent des pouvoirs qui devraient appartenir à l’État. Et nous, que faisons-nous ? Nous nous contentons de payer, de nous adapter, de continuer.

Demain, ces groupes armés commenceront à offrir des services bancaires, à gérer nos écoles, voire à devenir nos fournisseurs d’électricité, comme ils le faisaient déjà à Martissant, il y a 6 ans et que sur ce blogue, j’appelais à prendre la menace au sérieux avant qu’elle ne s’étende au pays tout entier. Après tout, qui pour mieux gérer tous les domaines clés de notre vie de peuple qu’un groupe armé ayant prouvé son sens des affaires ?

En acceptant ces situations comme la nouvelle norme, nous ne faisons pas que survivre, nous permettons à ces criminels d’étendre progressivement le contrôle et donc de gagner. La sécurité et la justice ne doivent pas devenir des options payantes offertes par des malfrats. En payant 3500 gourdes, chaque client de Transport Chic contribue peut-être à l’essor du prochain grand empire économique de notre pays et le secteur à la croissance la plus florissante de ces dernières années : celui des gangs.

Et il est grand temps que cela cesse.

À commencer par le nouvel Exécutif qui préside à nos destinées qui doit reprendre le contrôle du centre-ville, des routes et du territoire.

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