Le Dieu qui regrette

« L’Éternel regretta d’avoir fait l’homme sur la terre et il fut affligé en son cœur » (Genèse 6:6). Dieu, profondément déçu face à la dépravation humaine, décide de commettre le plus grand génocide que la terre n’ait jamais connu : le Déluge. Comment un Dieu omniscient (1 Jean 3:20) a-t-il pu se tromper à ce point sur l’humanité qu’il a pourtant créée à son image et à sa ressemblance (Genèse 1:26-27) ? Comment un être toujours présent et tout-puissant a-t-il pu manquer cette dévolution de sa créature ? Mais surtout, comment l’omniscience divine peut-elle s’accommoder de l’erreur au point de provoquer un changement de perspective sur la base d’un résultat inattendu ?

Dans L’Homme qui rit (1869), Victor Hugo offre une critique acerbe de la société de son époque à travers l’histoire de Gwynplaine, défiguré enfant par des trafiquants d’enfants dénommés Comprachicos pour en faire un phénomène de foire : un pauvre hère au sourire aussi permanent que la souffrance dans laquelle il se trouve plongé du jour au lendemain. Gwynplaine est noble de naissance, mais il n’en a pas l’apparence et, dans l’aristocratie où il est né mais dont il a été enlevé, la souffrance des classes inférieures laisse indifférent. Sa mutilation devient un symbole : celui de l’injustice et de la cruauté des classes dirigeantes dégénérées, égoïstes et déconnectées des réalités du peuple. Le symbole d’une élite dépravée qui vit dans le luxe et l’indifférence totale face à la misère des plus faibles et des démunis.

Cette dépravation est incarnée par deux groupes. Les capitalistes comprachicos moteurs d’un monde où la compassion et l’humanité a été remplacée par la barbarie et l’exploitation. Les célébrités aristocrates anglais exhibent leurs richesses devant les pauvres sans le moindre souci. Cette dépravation morale, où l’humain est exploité pour le divertissement ou le profit, est à l’origine de la déception divine exprimée dans Genèse 6:6. Le regret de Dieu devient une réaction à l’injustice et à la souffrance causées par le péché. Le Déluge intervient pour purifier la terre de cette corruption et restaurer l’ordre et la justice. Plus tard, le Christ se sacrifiera en réponse ultime à la dépravation humaine. En mourant sur la croix, il offre une voie de rédemption, un chemin vers le salut.

Pour Gwynplaine, le salut se présente sous la forme de Dea, une jeune aveugle incarnant la justice dont elle a l’attribut principal. Son amour permet de faire triompher la bonté et la beauté intérieure sur la cruauté du monde face à la difformité physique. Lorsqu’il découvre ses origines nobles, Gwynplaine tente d’utiliser sa nouvelle position pour dénoncer les injustices sociales et défendre les opprimés. Dans un puissant discours à la Chambre des Lords, il appelle à la justice et à l’égalité. Son cri de révolte est rapidement étouffé par les élites.

L’Homme qui rit est une méditation tant sur la nature humaine que sur la condition humaine. Le roman met en lumière les conséquences désastreuses de la dépravation morale sur la vie des individus et sur la société dans son ensemble. Le problème n’est pas uniquement celui des méchants Comprachicos mais celui d’une société indifférente qui n’a pas été là pour Gwynplaine. Défiguré de façon grotesque dans sa jeunesse, Gwynplaine est victime de l’indifférence des passants, de la cruauté des nobles et surtout de la trahison d’Ursus, son tuteur, qui se rend complice de son exploitation. Genèse 6:6 fait référence à cette société et à la responsabilité collective dans la création et la perpétuation des injustices sociales. Dieu témoigne de son affliction face à la corruption de l’humanité ; Hugo illustre l’affliction d’une société qui a échoué à reconnaître la valeur et la dignité de tous ses membres.

Dieu a exterminé l’humanité entière, hormis une famille, via le Déluge (après avoir détruit deux villes par le feu), et l’humanité est encore plus dépravée qu’avant. Au point que même le sacrifice du Fils de Dieu ne change rien. Le design de l’humain, créé à la ressemblance de Dieu et dont Dieu s’est maintes fois repenti, doit être fautif…


PS: Pour vos suggestions de passages bibliques à analyser, le lien est ici: https://ngl.link/laloidemabouche.

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