Ce que le peuple veut

Depuis le billet d’hier, certains, nombreux, me font remarquer que, s’ils admirent mon idéal de placer le peuple au centre de tout, il est des moments où laisser faire le peuple peut être dangereux. Mon premier réflexe était de les renvoyer à deux billets précédents : l’un appelant à démocratiser notre démocratie et l’autre rappelant que traiter un peuple en mineur revient à se placer au-dessus de lui, une attitude résolument fasciste s’il en est. Mais, je me suis souvenue, juste à temps, que, céans, sous-estimer le peuple, ses nègres mornes et autres gros souliers est une seconde nature.

Je me suis revue, en cours d’histoire des idées politiques, demandant à des étudiants en sciences politiques et en droit « quel serait le meilleur régime politique pour Haïti? » et devant composer avec le fait que la dictature l’emporta, haut la main, avec 44%. Le constat semblait sans appel. Il y a deux ans, je le résumais ainsi:

Le pourcentage passe à 56% lorsqu’on y inclut les autres formes de gouvernement monocratiques (monarchie, 8%; tyrannie, 2%; totalitarisme, 1%; présidence à vie 1%). Dans tous les cas, l’argument majeur semble être que le peuple haïtien est trop bête, trop pauvre, trop ignare, pour profiter de la démocratie. Ancien esclave, il lui faudrait un maître pour lui dicter ce qu’il faut faire. Sinon, et « l’Histoire le prouve », c’est le désordre et le chaos, avec un peuple agissant comme des bêtes sauvages.

Nos colons intérieurs, 30.12.2017

Alors, comment, même (surtout) lorsqu’on on finit par admettre le sondage d’Ayiti Nou Vle A, respecter l’opinion de qui l’on considère sincèrement inférieur à soi ?

La première embûche est donc celle de la croyance en la démocratie elle-même. Non pas uniquement en tant que régime politique, mais en tant que système de valeurs. La démocratie est basée sur une belle fiction: l’égalité entre les hommes. Il faut donc commencer par la reconnaître avant que de procéder plus avant. Certes, il est des arguments nombreux quant à la bêtise des peuples mais il en est certainement de plus convaincants quant à la cruauté des autocrates et, à choisir entre la bêtise et la cruauté, allons pour la bêtise qui a le mérite de n’être pas volontaire et d’être aisément corrigée. Ce qui m’amène à l’éducation du peuple, soit la démagogie avant qu’elle ne devienne outil de manipulation.

La démagogie vient de deux mots grecs pour peuple (demos) et conduire (ago). Le démagogue s’attache donc à mener le peuple. Mais où ? S’il est démocrate, vers la liberté et la démocratie. S’il est populiste, à la haine des élites érigées en boucs émissaires. S’il est autoritaire, vers la dictature et la tyrannie. Car, comme je le disais hier, le peuple n’est pas plus bête qu’un autre, il agit en fonction des informations dont il dispose.

Chez nous, pour des raisons évidentes, ces informations lui proviennent de la radio. Et quand celle-ci ne fait que polluer les esprits, elle tue. Aussi, pour qu’il cesse de participer à son suicide, est-il, plus qu’important, vital que la bonne information arrive au peuple. Et si l’on croit/sait savoir ce qu’il faut, il faut s’arranger pour convaincre/persuader et non imposer /remplacer.

C’est la seule position acceptable pour mener la révolution de la dignité. Elle exige une grande dose d’humilité. Elle exige du courage et de la détermination. Du courage pour dire ce qui est. De la détermination pour aller à contre-courant.

Au cours de l’année 2019, l’on a réussi à persuader des gens réputés éduqués que, de laisser une opposition décriée et corrompue prendre la population en otage pour faire partir un Président décrié et corrompu, était une stratégie viable pour une vie meilleure pour tous. Convaincre un peuple passablement raisonnable, à se fier aux résultats du sondage d’ANVA, ne devrait pas être particulièrement difficile.

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