Une question de droit politique

Ce billet a mis du temps à arriver. La première fois que j’ai voulu l’écrire était en octobre 2015, le 22 pour être précise. C’était encore l’époque où l’on traitait l’extrême majorité abstentionniste de lâches, de grand-diseurs, de non-patriotes. Un Directeur d’Opinion Important (DOI), dans son émission journalière très écoutée, crut alors bon de préciser pour ses auditeurs :

[D’aillleurs] quand on ne va pas voter, ce n’est pas une abstention, c’est un non-vote.

avant d’expliciter en long et en large, la différence, avec l’approbation manifeste de ses invités. Craignant de ne pas avoir bien compris la leçon, j’ai appelé un ami qui écoutait lui aussi l’émission pour m’assurer que j’avais bien entendu. Il confirma la chose. Mes oreilles ne m’avaient pas trahie. M’en voulant d’avoir douté de telles amies, je promis de les venger. J’écrirais un billet sur le devoir qui est nôtre – pour reprendre les mots d’Emmanuel Kant – d’ »intervenir dans l’espace public en tant que savant ».

C’est un leitmotiv dans mes conversations avec ceux à qui j’ai la chance d’enseigner: étudiants, élèves, professionnels. Je leur demande toujours de me permettre d’user de mon autorité d’enseignante pour leur enjoindre de n’intervenir dans l’espace public qu’armés de connaissances réelles et, s’ils ne les ont pas, d’aller les chercher, de les maitriser avant de se prononcer.

Dans « Qu’est-ce que les Lumières ?« , Kant explique cette quête sans fin du savoir et son importance pour la recherche de maturité de l’humanité. Il la résume par cette formule – empruntée à Horace – Sapere Aude. Ose savoir. Ose chercher. Ose connaitre. Epi pale sa w konnen. Parle de ce que tu sais. Pa pale sa w pa konnen. Ne parle pas de ce que tu ignores. C’est simple, certes, mais tellement compliqué céans où des sots savants nous prouvent tous les jours que le Molière des Femmes Savantes avait raison lorsqu’il les déclarait plus sots que les sots ignorants.

De Trissotin à nos DOI, les traits caractéristiques ne semblent avoir guère changé. Fats, pédants, vaniteux, avec un sens hypertrophié de leur valeur, ils polluent l’espace public avec une telle assurance que l’on en arrive presque à se demander si ce ne serait pas nous en fait qui avons négligé de nous tenir au fait des dernières avancées et autres découvertes sur la question. Peut-être les définitions ont-elles changé ? Pluton n’est plus une planète. L’abstention n’était peut-être plus un non-vote. Qui sait ? Les choses changent. Sauf que pas vraiment. Pas ainsi en tout cas. Du reste, pour taper sur les abstentionnistes, on aurait pu trouver mieux. Bien mieux.

Il est vrai que, depuis, le ton a changé. La CIEVE ayant donné raison à la majorité, nos Directeurs d’Opinion Importants font moins le fier. À tout le moins sur ce sujet. La mascarade a été démasquée et bien démasquée; n’en déplaise à ceux qui persistent à vouloir voir dans les événements d’août et d’octobre 2015 des élections. Désormais, nous ne sommes plus à l’époque bénie où les bien-pensants discouraient sur tout le mal que l’attitude décevante de ces empêcheurs d’électionner en rond faisaient à notre pays. Nous sommes dans une crise différente quoique péniblement familière, celle d’un Parlement qui refuse de se réunir pour décider du sort du Prince provisoire. Les discours à la radio prennent donc désormais l’allure de débats hautement utiles sur la légalité de son maintien au pouvoir au-delà de la durée de son mandat.

Nouveau débat, nouvelle fausse connaissance. Ce matin, dans la même émission, un leader politique autoproclamé et très médiatisé pendant ces deux dernières décennies, juriste de formation, a manqué d’arrêter mon cœur quand il expliqua la chose par les subtilités d’un domaine jusque-là inconnu du droit dont la flexibilité force l’admiration: le droit politique.

Mes lecteurs avisés vont sans doute penser que le maître faisait référence aux droits politiques de nos concitoyens tels que définis dans les instruments juridiques internationaux – tel le Pacte international relatif aux droits civils et politiques – et tels que garantis par la Constitution. Mes lecteurs avisés pécheraient par inattention. Ils auront raté l’emploi de l’article défini et du singulier.

Une fois l’erreur signalée, mes lecteurs – d’une érudition à toute épreuve – iront chercher dans le « droit politique » – en fait, le droit constitutionnel – tel que présenté dans le Traité de droit politique, électoral et parlementaire du Secrétaire général de la Présidence de la Chambre des députés de 1885 à 1925, Eugène Pierre ; la référence absolue sur la Troisième République – comme me l’a rappelé (appris, en fait) un gentil monsieur au Sénat français alors que j’allais y trainer comme étudiante, sous prétexte d’assister à des colloques et des conférences importants.

Mes lecteurs découvriront, avec stupeur, leur ignorance abjecte. Le « droit politique », c’est la loi du plus fort. C’est ce qui fait que, je cite, « quelqu’un qui prend les armes contre le Président et rate sa tentative de coup d’État est jugé pour complot contre la sûreté de l’État mais, s’il réussit à tuer le Président, il ne sera plus jugé pour complot contre la sûreté de l’État mais sera un libérateur ».

Suivirent des explications importantes sur la chose mais je venais d’arriver à la blanchisserie où je devais aller m’assurer qu’on me déleste de quelques milliers de gourdes pour quelques vêtements de rien du tout. De retour dans la voiture, le chauffeur écoutait déjà une autre station. Il a dû, comme moi, en avoir eu assez. Il m’a demandé si je voulais qu’il revienne sur la précédente. Je lui ai dit non, merci. Pas par simple politesse. Je voulais vraiment le remercier de m’avoir soustraite à cette torture d’un genre spécial.

Ce billet est en fait un appel à action. J’ai pris, exprès, deux exemples plutôt inoffensifs, des interventions des sots savants dans l’espace public. Mon but est pourtant d’attirer l’attention sur d’autres interventions plus néfastes dans nos radios, sur le web ou à la télévision de nos experts en tout genre. Des experts en médecine qui s’informent sur Santé et nutrition et nous parlent de toutes ces plantes miraculeuses qui guérissent du cancer et que les médecins ne veulent pas que l’on connaisse, des experts en relations internationales qui reprennent les analyses glanées sur Mondialisation.ca ou encore des experts en génie parasismique qui reprennent les thèses complotistes sur le tremblement de terre de 2010.

Les médias nous les présentent comme des personnes fiables, des gens de savoir. Souvent, nous n’avons pas les bons outils pour démêler le vrai du faux. Je propose que ceux qui s’y connaissent, s’empressent de les signaler systématiquement, à chaque fois que l’occasion se présente. Tels des Aristes, mettons nos Trissotins à l’épreuve et révélons-les pour les suceurs qu’ils sont. Nous avons droit à une information crédible et de qualité. C’est une question de droit politique.

10 commentaires sur “Une question de droit politique

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  1. Il etait temps qu’on le dise haut et fort ! En Haiti l’espace public aussi est pollue et c’est dangereux pour cette jeunesse que des medias deforment au lieu de la former ! Il suffit de parcourir la bande FM en quete d’une emission valant la peine d’etre auditionnee. Tous domaines confondus, il y en a peu si l’on oublie RFI. On a le choix entre la musique (plus frequemment le bruit ! ) et les elucubrations de nos Trissotins ! Merci 3sh@ de tirer la sonnette d’alarme !

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