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Au Rédacteur en Chef du Nouvelliste

Mise à jour: Le texte original de ce billet est un courriel envoyé à M. Duval, le jeudi 13 août 2015, à 14:42, en réaction à son éditorial de ce jour-là.

Monsieur Duval,

C’est avec un sourire tout aussi convenu que votre « coup de gueule » que j’ai lu votre diatribe contre ces abstentionnistes responsables de tous les maux d’une démocratie qui n’existe que dans les discours d’acteurs bien éloignés de la vie quotidienne du peuple haïtien. Cela m’a rappelé une récente discussion que j’ai eue avec quelques amis sur l’irresponsabilité de ceux qui invitent les Haïtiens à aller voter dans des élections organisées par un Conseil Électoral n’ayant aucune crédibilité et dont le Président, Monsieur Pierre-Louis Opont, a reconnu publiquement avoir accepté d’escamoter les vrais résultats des élections de 2010 pour laisser publier ceux qui ont été approuvés par la communauté internationale, en particulier l’Organisation des États Américains.

Dans Le ventre pourri de la bête (paru en 2014), l’ancienne conseillère électorale, Ginette Chérubin, reprend une conversation glaçante entre un Pierre-Louis Opont, alors Directeur du Conseil Électoral Provisoire, et le représentant de l’OÉA, Monsieur Edmond Mulet, depuis rattrapé par son passé de « trafiquant d’enfants ». Dans cette conversation des plus respectueuses du processus démocratique, le représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU et chef de la MINUSTAH, parlant « au nom de toute la communauté internationale », précisait, tout de go, qu’elle « n’accepter[ait] pas que M. Jude Célestin soit présent au 2e tour du scrutin, voire qu’il soit gagnant au premier tour ! ».

La suite, nous la connaissons. Nous la vivons aujourd’hui. Nous la vivons tous les jours. Des irresponsables accusent le peuple – qui a toujours bon dos – d’avoir voté pour des élus peu recommandables en oubliant que ce peuple, bien au fait de la mascarade que représentent désormais les élections en Haïti, s’en est abstenu à un taux débilitant de 78%. Dans un pays dont l’index démocratique de 3,82 le place résolument parmi les régimes autoritaires, le peuple haïtien a compris que les élections ne servent à rien d’autre qu’à légitimer l’inavouable et le méprisable quand nos votes blancs sont comptabilisés et redistribués (2006) et le vote populaire rejeté (2011).

Depuis 1990, les élections haïtiennes sont financées de 70 (1999) à 98 % (2005) par une communauté internationale qui, 4 fois sur 7, en a publié elle-même les résultats. La seule fois où celles-ci ont été financées localement, c’était pour les fameuses élections de 2000 ayant débouché sur une double présidence et un coup d’État. La réalité est que les élections en Haïti sont une obligation faite à Haïti par une communauté internationale qui en a fait une condition sine qua non de sa « collaboration » avec les gouvernements haïtiens. Ce qui est important ici n’est donc pas tant la réalisation d’élections démocratiques que celle de l’illusion d’un processus démocratique permettant de consacrer l’inévitabilité de la démocratie libérale, telle que définie par le Consensus de Washington, comme mode idéal et final de la gestion de la cité. Aussi la communauté internationale ne laisse-t-elle rien au hasard des desiderata d’un peuple que, manifestement, elle méprise.

Chez nous, il existe une véritable répartition de tâches permettant de consacrer la dénationalisation du processus électoral et démocratique haïtien. Le Programme des Nations Unies pour le Développement, le PNUD, gère le budget global des élections. La Mission des Nations Unies pour la Stabilisation en Haïti s’occupe de la gestion des opérations. L’Organisation des États Américains s’occupe des ressources humaines et matérielles. Le Conseil Électoral Provisoire, seule entité haïtienne dans ce quatuor, a été réduit à des tâches normatives de publication de calendrier, de rejet ou d’acceptation des candidatures et d’officialisation des résultats.

Alors la question, monsieur Duval, n’est pas de savoir ce que nous faisions dimanche mais plutôt de savoir en quoi ce dimanche était si spécial. Car une participation de 3 à 5% aux élections, Monsieur Duval, n’est pas de l’abstention ; c’est, tout au plus, une erreur statistique.

Patricia Camilien

Citoyenne haïtienne excédée

64 réflexions sur “Au Rédacteur en Chef du Nouvelliste

  1. Je regrette ma chère, la question de Monsieur Duval à toute sa place. Et je la reprend: où étiez vous dimanche ? Mais ce que vous semblez ignorer c’est que cette question va au delà de ce dimanche. Mais plutôt à un ensemble de difficultés auxquelles nous faisons face.
    Pourquoi ce sont les malfrats qui font la loi ? Où sommes nous ?
    Pourquoi la plupart des candidats sont des gens qui n’inspirent pas confiance. Où sont passés les personnes honnêtes et respectables de ce pays? N’y en a t-il pas? Je ne crois pas.
    Quand le beau frère du président ou son homme de main déchaînent leurs rages sur des citoyens paisibles du pays, où sommes nous ?
    Quand les routes sont en mauvaises états, les hôpitaux sont quasi inexistant ou disfonctionnel et les écoles publiques redruites a leurs plus simples expressions. Où sommes nous ?
    Quand le président à injurier en public une citoyenne, où étions nous.
    Et tant d’autres questions qu’on pourrait se poser.
    L’Haïtien par coutume n’assume jamais ses responsabilités. Il y à toujours une tierce personne qui doit porter le poids de son échec.
    La communauté internationale à certainement sa part de responsabilité dans l’échec du pays. Mais à bien y réfléchir nous en sommes les premiers responsables ou du moins les seuls. Je pense que cela vient du fait qu’on arrive jamais à s’entendre pour construire mais pour détruire. Et comme on le sait fort bien la division ne profite jamais aux divisés mais aux diviseurs. Un exemple simple : c’est ce qui arrive aux héritiers qui doivent partager une legs, une discordance entre eux va profiter inévitablement aux avocats ou à des étrangers. Donc rester chez soi le jour des élections, s’abstenir de se porter candidat, pratiquer le je m’en fous, se résigner à tout, se complaire dans notre soi disant confort et sécurité virtuelle ne va rien changé. Au contraire c’est en mettant la main à la pâte, en oubliant notre orgueil et surtout en pensant au bien être de la collectivité qu’on arrivera à change la situation.
    Mwn m tal vote, e map retounen al vote depim gen posiblite a.
    Paske li fasil poun ret ap kritike san nou pap fè anyen pou chanje sa.
    Rouanda sal ye jodia paske gen fanm ak gason ki pat chwazy ret chita tann sa chanje.
    Se pa etranje kap vin ni bon kandida ni bon elektè pou chanje Ayiti. Men pito se mwn, se ou, se li, donk se nou ki pou chanje sa.
    E wi se pep la ki responsable eta peyi a. paske moun kap dirije nou yo soti nan pep la, se nou menm kap fè kout mal taye ak blan sou do pep, kap vole eleksyon, e se nou menm pep la ki paka antann nou poun konstwi peyi nou etc….
    DAVID

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    1. Il n’y a rien à regretter. Comme moi, vous avez la loi de votre bouche. Toutefois, si vous prenez la peine de lire mon texte, vous verrez que je réagis surtout à cette idée que s’abstenir de voter dans ce qui est, de la façon la plus avérée, une farce électorale, reviendrait à abandonner le droit de critiquer le processus. À quoi ça sert de jouer quand on sait que les dés sont pipés. Ce qui est logique, c’est d’exiger que les dés ne le soient plus. Dans le cas contraire, vous ne faites que légitimer sciemment la mascarade. Auquel cas, il faut bien se demander pourquoi ?

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    2. vous avez bien dit: c’est le temps d’un reveil Haitien. Alors merci de votre sensibilisation afin de proceder a son debut!

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  2. J’ai pris mon temps pour regarder les images des elections de novembre 1987. Normalement, aucun haitien ne devrait aller aux urnes sachant qu’on va les tirer dessus!

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    1. Pensez vous qu’avant 1803 aucun esclavage ne s’était rebelle? A chaque fois que cela arrivait l’esclave en question se faisait fouetter, ecarteler, trucider mais cela n’a pas empêché aux braves de l’époque d’organiser la révolution. Savez vous combien de familles, de politiciens, de journalistes et de simples citoyens qui se sont fait exécutés sur le régime des Duvalier pour avoir seulement osé médire du régime? Si l’on suit bien votre logique nous aurons été encore en esclavage. Ou bien a cet instant Haïti serait le royaume des Duvalier.

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      1. Mais avec la cupidité d’aujourd’hui qui va nous inspirer confiance, avec le temps chacun pour sa poche et Dieu pour le peuple?

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  3. Pèp LA chita, se Pou n poze kesyon poukisa? Denokrasi pa machanday. Sa montre nan ki nivo nou redwi nan Jan denokrasi pèpè a fè peyi. Patricia bien dit.

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  4.  « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants; c’est l’indifférence des bons » Martin Luther King 

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  5. La démocratie telle qu’elle est pratiquée en Haïti nous met face à un dilemme. Des citoyens haïtiens choisissent de s’impliquer sciemment alors que d’autres se font utiliser comme des troupeaux à la bergerie, d’un côté. De l’autre côté, la grande majorité s’expriment par une sorte de « silence démocratique ». Ce qui est naturel, puisqu’il faut inévitablement marquer une pause si on veut s’orienter pour sortir de cette situation labyrinthique.
    On ne peut pas s’attendre au réveil de la population haïtienne s’il n’y a pas d’inspirations en ce sens, il nous faut donc de vrai leader, des gouverneurs de la rosée qui sont capables de parler pour toucher l’âme collective haïtienne. Le bateau a besoin d’un capitaine qui s’y connaît et qui peut presenter aux passagers l’itinéraire pour qu’ils montent à bord.

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  6. J’ai lu avec interet votre article et je vous en felicite, ce que moi j’ai pu retenir de ces elections est tres simple. Le peuple a finalement compris que voter ou pas jamais ses choix ne seront pris en compte car la communaute internationale decide qui doit et ne doit pas etre chef dans ce pays en fonction de ses interets,au contraire de Mr. Duval je n’irais pas a demander aux gens ou est ce qu’ils etaient mais je leur dirai plutot que le Temps est vraiment venu pour nous autres, Haitien de Prendre serieusement notre Destin en main, sinon nous resterons a jamais les restavek de ces soi disants amis d’Haiti. Une fois de plus bravo pour votre analyse.

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  7. Chui parfaitement d’accord avec vous Madame. C’est beau de mourir pour la patrie, mais c’est moche de se suicider pour elle.

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  8. @3SH il faut pas se contenter d’écrire des textes les uns plus enrichissants que les autres sur des sujets d’intérêt public. On doit s’organiser dans le but de mettre sur pied un mouvement qui se donne pour mission de redresser la barque, de reconstruire la nation sur des principes et valeurs sûrs. Car on ne peut plus se permettre le luxe de laisser des corrompus, des « bandi legal » et des corrupteurs nous dirigent. Organisons nous et agissons maintenant

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    1. Je suis d’accord mais je crois qu’en discuter est déjà un excellent début. Il nous faut reprendre l’espace public, le rendre plus intelligible. Il importe que plus de gens s’intéressent à la chose publique. Ces discussions sont un premier pas.

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  9. Je prends plaisir a lire tous ces commentaires autour des élections. C’est vraiment un bel engagement patriotique on dirait. Loin de commenter les propos de chacun je n’ai qu’un mot a rajouter : qu’avons nous fait pour les familles des victimes de la ruelle vaillant. Il sont morts pour rien. Qui honore leur mémoire ? Que dire des familles des victimes du coup d’état de 91. Nous faisons de beaux discours et de belles échanges sur le net, lequel d’entre vous prendra le béton pour réclamer ses droits ? Mes frères et sœurs en ont marres de toutes ces parodies. PASSONS A L »ACTE.

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    1. Mon bonheur et celui de ma famille dépend de ce pays qui ma vu naître « La loi de mon âme exprimer par mes sens »

      La patrie c’est la terre que les ancêtres nous ont laissée comme héritage nous devons travailler à sa grandeur et à sa prospérité et si c’est nécessaire être prêt à mourir pour elle (J’aime Haïti).

      Je ne nous demande pas de mourir mais d’accepter d’endurer non malgré nous, mais pour un idéal que nous aurons choisi et qui serrait unanimement accepté, supporté et financé par tous les haïtiens qui aime Haïti. Un idéal simple, accessible qui servirait de base pour édifier le sens profond de notre légende « l’union fait la force ».

      Merci Patt.

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  10. Comme beaucoup d’autres j’ ai pris le temps de lire votre article et les commentaires qui suivent. Je crois vous avoir rejoint ds votre position. Moi depuis après les élections de 2006 j’ai conclu que ça ne sert à rien de voter en Haïti. Car les résultats sont toujours les mêmes. Des nouveaux riches se multiplient. Tandis le peuple continue à croupir ds la misère atroce. Et d’autre en plus que le vote populaire n’est utilisé que pour masquer le vote des grands électeurs réunis sur le nom de communauté internationale ou Corps group.

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    1. Bienvenue dans le Club. Il ne faut pas toutefois nous avouer vaincus. L’État haïtien, c’est un fait, ne respecte pas sa part du Contrat social. À nous de décider de ce qui doit suivre ce constat.

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