Ce n’est pas au secteur privé de financer la PNH

Tous les jours dans ce pays, une nouvelle problématique inédite me laisse interdite. Je suis perpétuellement fascinée par notre rare capacité à trouver constamment les pires solutions à nos problèmes. Récemment, les champs de canne à sucre de Rhum Barbancourt ont été incendiés lors d’ « altercations entre gangs rivaux« , selon les informations fournies par la compagnie. De nombreux commentaires déplorent l’incident. Barbancourt est un patrimoine national; tout ce qui lui arrive interpelle forcément. Toutefois, une remarque particulièrement inquiétante revient fréquemment depuis la publication de la note officielle. Elle se propage lentement mais sûrement dans l’infosphère haïtienne.

Ma première rencontre avec cette proposition remonte à un entretien entre un ambassadeur étranger et un présentateur télé, dont les questions sont généralement déconcertantes de platitude. Le présentateur s’indignait d’un don insignifiant fait à la police nationale d’Haïti, argumentant que le secteur privé haïtien pouvait aisément effectuer de tels dons et de manière plus significative. En réponse, l’ambassadeur a relevé, non sans raison, que, en attendant, il voyait surtout le secteur privé utiliser la police pour sécuriser leurs matchs de tennis dans leurs clubs privés. L’échange n’alla pas plus loin et heureusement. L’argumentaire était spécieux.

Sauf que, il appert que cette sortie ne relevait pas simplement de l’absurdité habituelle de certain présentateur. Nous serions de plus en plus nombreux à penser sérieusement que le secteur privé des affaires – si tant est qu’il en existe un – devrait financer la PNH. Imaginez un secteur dont des membres nombreux privatisent déjà les services d’agents de police – qu’ils ont plus ou moins illégalement placés sur leurs listes de paie – pouvoir légitimement les utiliser comme leur milice privée avec la bénédiction de l’État. Nous pourrions dire adieu aux maigres efforts de la PNH pour protéger même ceux qui ne servent pas. Si nous croyons actuellement être livrés à nous-mêmes, il ne serait que d’attendre que le secteur privé des affaires se paie officiellement la PNH.

Non, ce dont nous avons réellement besoin, c’est que le secteur privé haïtien s’acquitte de ses impôts. La véritable solution réside dans une responsabilisation accrue de ce secteur vis-à-vis de ses obligations fiscales. Les taxes sur les revenus, les impôts locatifs, les impôts sur les sociétés, les droits de douane et autres taxes doivent être payés de manière effective. Depuis des années nous multiplions les études, colloques et autres grandes messes sur l’élargissement de l’assiette fiscale et la nécessité de réformes fiscales; il est temps de passer à l’action.

Le niveau d’imposition marginale en Haïti est l’un des plus bas de la planète. Haiti obtient une note de 8/10 dans l’indice de taux marginal du CATO Institute, indiquant que « les plus fortunés de la société paient peu d’impôts ». Il n’est donc pas surprenant que d’autres indices, tels que l’indice de Gini sur les inégalités économiques ou l’indice de développement humain, suivent cette tendance. Un faible taux d’imposition limite les recettes fiscales nécessaires au financement des programmes sociaux et des services publics, y compris ceux de la PNH. Plus important encore, cela accroît notre dépendance envers l’aide publique au développement et conduit à une subvention internationale de la responsabilité régalienne par excellence : notre sécurité à tous.

Garantir la sécurité des citoyens ne peut être délégué ni à la communauté internationale ni au secteur privé des affaires. La police nationale doit être financée par l’État haïtien, à travers les impôts collectés auprès de tous les citoyens, assurant ainsi son impartialité et son engagement envers la protection de tous les Haïtiens, sans exception.

Le Kenya rejoint la lutte contre la pêche illégale

Le Ministre des affaires étrangères et de la diaspora kényan, le Dr Alfred Mutua, annonce la venue prochaine de policiers de son pays pour lutter contre les gangs en Haïti. Ce projet se situe dans le cadre de la négociation d’un partenariat avec le Canada qui permettrait aux diplômés kényans de rejoindre aisément le marché du travail canadien.

Déjà, nous ajustons notre programme d’EFTP pour répondre au marché du travail canadien afin que les diplômés kenyans puissent se qualifier pour un placement immédiat au Canada […]

Nous tenons non seulement à attirer des investisseurs canadiens au Kenya, mais aussi à ouvrir le marché canadien aux produits à valeur ajoutée du Kenya.

Alfred Mutua, cité par The Star in « CS Mutua: Kenya to send police in Haiti to battle gangs « , 23 avril 2023

Voilà donc le Kénya prêt à rejoindre la lutte contre la pêche illégale d’un collègue du Commonwealth en échange de la possibilité d’exporter ses ressources les mieux formées. Qui ne saisirait pas une telle opportunité ?!?

C’est tout de même fascinant combien il s’en trouve toujours pour négocier toutes sortes de choses inattendues sur notre dos. Un partenariat canado-kényan où nous jouons le rôle de deal-sweetener ? Je ne l’avais pas vu venir celui-là.

Il était une fois Dimitri Hérard

Dimitri Hérard, dont la sœur, Elodie Hérard, est, avec Carl-Frédéric Martin et Patrick Ganthier, porte-nom propriétaire de l’ex-nouvelle fabrique d’armes de la République, n’est pas avare de stupeur. Le chef de l’Unité de Sécurité Général du Palais National (USGPN) semble plutôt les cultiver. C’est ainsi que, il y presqu’un an, à la stupeur générale et celle du chef de la police en particulier, il avait décidé de déguerpir les propriétaires de voiture et petits marchands de la rue Monseigneur Guilloux.

Dans cet avis d’une grande brièveté, monsieur Hérard donne aux contrevenants un délai de 72 heures pour vider les lieux. Ni la Mairie de Port-au-Prince, ni la Direction générale de la Police Nationale d’Haïti n’en savent pas plus. Comme le Ministère du Commerce, ils avaient été réduits, eux aussi, au constat.

Quinze jours plus tôt, le 10 juin 2019, le même Dimitri Hérard était accusé d’avoir, à la grande stupeur des manifestants, tiré à hauteur d’homme et causé la mort d’un motard ainsi que de nombreux blessés. Une plainte a été déposée mais la PNH ne semble pas y avoir donné d’autre suite qu’une « forme d’arrestation » à préciser.

En 2018, c’était la rumeur de son arrestation par l’agence américaine de lutte contre la drogue, la DEA, qui causait la stupeur sur les réseaux sociaux. L’information, vite démentie par la police, plaçait l’arrestation dans le cadre de l’affaire du bâteau Manzanares où, sous le sucre importé de la Colombie par la famille Acra, se trouvaient cachés 100 millions de dollars de cocaïne et d’héroïne, sur fond de scandale et d’accusation de collusion entre des membres de la DEA américaine, de la brigade de lutte contre les stupéfiants (BLTS) haïtienne et de cartels de la drogue colombien.

Les talents stupéfiants du Commandant Hérard ne s’arrêtent pas là toutefois. L’homme de 34 ans – aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas – faisait partie de l’avant garde du rêve d’armée de l’ancien président Michel Joseph Martelly. Devenu chef de l’USGPN, le diplômé de l’École supérieure militaire Eloy Alfaro en Équateur, offrit un spectacle de rues qui marqua durablement l’esprit du journaliste du Nouvelliste qui y assista. Lisez vous-même :

N’est pas policier qui veut ! Encore moins ne devient-on agent de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN) sur un coup de tête ! C’est du moins la conclusion qu’on a tirée ce 26 mars en tentant de suivre la « marche tactique » de l’USGPN qui s’est déroulée à travers Port-au-Prince pour le troisième dimanche consécutif depuis le 12 mars.

Chancy Victorin, »Quand des agents de l’USGPN s’entraînent dans nos rues« , Le Nouvelliste, 30 mars 2017

Évidemment, rien n’est plus impressionnant que d’avoir réussir à obtenir, pour sa sœur, du Ministère du Commerce, contre l’avis de la direction juridique de celui-ci, qu’il autorise la création d’une société dont l’objet est manifestement illégal.

Arrêtons-nous un instant à l’article 2 des statuts.

La société a pour objet l’assemblage et la fabrication d’armes à feu et de munitions de tout calibre et aussi de tous équipements militaires et policier (sic) pour l’exportation (lulz) et la vente aux institutions policières, militaires, de sécurité privée commerciale et gouvernementale sur le territoire haïtien conformément à la Constitution et aux lois de la République.

L’article 268-3 de la Constitution de 1987 est pourtant clair :

Les Forces Armées ont le monopole de la fabrication, de l’importation, de l’exportation, de l’utilisation et de la détention des armes de guerre et de leurs munitions, ainsi que du matériel de guerre.

Monsieur Hérard a beau avoir été pressenti pour la belle armée du Président Martelly, magnifiquement accomplie par son dauphin, Jovenel Moïse, sa sœur n’est pas les Forces Armées. Un tel exploit demande pause.

Hier déjà, nous constations, sidérée, la proximité de l’autorisation de la nouvelle fabrique d’armes avec l’arrestation de l’armurier Arby Frantz Larco pour trafic d’armes. À l’époque, les rumeurs (notamment dans Haïti Observateur) voulaient que ce soit Dimitri Hérard, encore lui, qui ait été chargé de « prendre les cargaisons d’armes dans des voitures officielles pour les transporter chez Larco pour enlever les numéros de série avant de les reprendre pour ensuite les distribuer aux gangs armés ». Monsieur Larco étant encore écroué, sans jugement, au Pénitencier national – où il partagerait les mêmes quartiers que ce pauvre Clifford Brandt dont les malheurs continuent jusque dans la prison où il a attrapé la COVID-19 – les rumeurs n’allèrent pas plus loin.

N’empêche que ce serait fichtrement pratique pour les gangs de pouvoir se fournir sur place. Cela pourrait expliquer que des ministres redevables à des parlementaires eux-mêmes redevables à des chefs de gang autorisent à leur propre stupeur une fabrique d’armes privée. Qui sait ?


PS : Depuis hier, des informations sur une autre compagnie, TRADEX Haïti, créée cette fois par Dimitri Hérard lui-même, ont commencé à circuler sur la toile. Son objet concerne les équipements et accessoires de sécurité. Je joins les extraits du Moniteur ci-dessous.

Juges 6:13

À la radio ce matin, le Directeur général de la police nationale a été catégorique. Il ne connaît pas ces policiers de l’Unité de sécurité générale du Palais national (USGPN) dont les photos circulaient durant toute la journée du #18Novanm. Il les a découvert, lui aussi, tout comme nous, sur les réseaux sociaux. Les nouveaux uniformes. Le nouveau dispositif de sécurité. Les treillis d’un nouveau genre. Tout. Comme en une triste pantomime de l’après-6-7 juillet, Monsieur Michel Gédéon nous avoue, au final, ne pas diriger grand chose. Ponce Pilate, il se rend à la radio pour se laver les mains.

Quelques minutes plus tard, le toujours loquace « conseiller du Président », Guichard Doré, se retrouve sur une autre station de radio à réclamer que le sang tombe sur sa tête et celle de la Présidence. Tout va bien, nous rassure-t-il, la Présidence a pris des mesures pour assurer la sécurité de la population. Qu’importe que l’article 269 de la Constitution précise que la Police « est créée pour la garantie de l’ordre public et la protection de la vie et des biens des citoyens » et que son fonctionnement relève du Ministère de la justice. Qu’importe que l’article suivant dispose que le Commandant en Chef des Forces de Police est nommé pour un mandat de trois (3) ans renouvelable. Qu’importe que l’article 24 de la loi du 29 novembre 1994 portant création, organisation et fonctionnement de la Police nationale (Moniteur nº 103, 28 décembre 1994) précise les attributions du DG de la Pnh, notamment :

6. Faciliter le recrutement et la formation périodique du personnel et promouvoir, sur recommandation des chefs de services, l’avancement des membres des sections dans le respect des statuts particuliers; 

7. Superviser et contrôler le fonctionnement de toues dépenses ou sorties de fonds et préparer, de concert avec la direction administrative, l’avant-projet de budget annuel ;

Le Président de la République, Chef de l’Etat, à qui notre Constitution donne la charger de veille[r] au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions (article 136) et qui n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution (article 150) a décidé, point barre, de donner un coup de jeune à l’USGPN et à la PN’H.

L’USGPN est une unité spécialisée de la PNH qui, depuis 1997, assure la sécurité du Palais national, avec les missions spécifiques suivantes :

Au #18Novanm, la Caravane du Changement semble l’avoir transformée en force de sécurité privée aux ordres du Président de la République. Pour combien de temps encore ? L’histoire le dira.

En attendant, à Martissant, à La Saline, nos frères et sœurs continuent de mourir sous les balles de chefs de tout poil tandis que le reste de la population métropolitaine est terrée chez elle, terrorisée par une « grève » ni collective ni volontaire.

Maisons closes

Il y a une quinzaine de jours nous rappelions la mise en location du Parlement par une foule déchaînée. C’était sous Sylvain Salnave, président populaire s’il en fut, qui vit ainsi ses adversaires proprement rossés par une populace acquise à sa cause . Depuis, un Premier Ministre qui ne l’était pas a été démissionné, de riches hommes d’affaires se sont ridiculisés à se peindre comme les grandes victimes de l’injustice sociale , des Parlementaires se sont publiquement accusés de vols et de malversations … Le premier de ces derniers, Président du Sénat et de l’Auguste Assemblée des Honorables Parlementaires, a commencé piano. À un collègue invitant la foule à mettre le feu à un Parlement inutile, il répondit qu’il ferait mieux de ramener au Parlement le groupe électrogène qu’il y avait subtilisé. Puis tout alla crescendo. Vitesse Grand V. Jusqu’à ce tweet du Sénateur nous informant que le contrat de location de sa seconde résidence à 8 millions de gourdes – quoique largement justifiée par « le prestige de sa fonction » – a été résilié par la même conférence des Présidents qui l’avait approuvé au mois de mars … pour débuter en janvier.

https://twitter.com/josephlambertHT/status/1022170264103256064

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